dimanche 27 avril 2014

Plérin, avril 2014, BoundCon


Le premier week-end que j’avais passé avec elle, elle l’avait dit avec la conviction de ses certitudes : “ll faut que tu viennes en Bretagne.”
C’était tellement loin que c’en était un peu irréaliste dans ce premier week-end où nous tâtonnions dans nos repères de nous-mêmes pour apprendre à nous connaître.
Elle en avait reparlé plusieurs fois régulièrement au gré de nos rencontres mais le seul voyage programmé à l’époque était Moscou et c’était déjà fou.
Les choses étaient restées en suspens comme une promesse lointaine, un espoir plus qu’une réalité.

Mais dans ce mois de mai encore tellement imprégné de Moscou, elle demande à m’appeler et m’explique qu’elle est sans modèle pour Munich. Des soucis de santé retiennent la modèle annoncée sur l’événement, à cause de Moscou, à cause de ce qui s’y est construit entre nous, elle a spontanément pensé à moi.
Le temps de s’organiser et finalement, la Bretagne devient plus qu’une promesse en devenir. Trouver un co-voiturage dans un délai de moins de 10 jours ne sera pas la chose la plus aisée. Je verrais plusieurs places me filer entre les doigts pour qu’enfin je puisse aller la voir pour une durée raisonnable pour préparer le show.

 Dimanche 27 avril :
Je pars d’une sortie d’autoroute de l’A77 pour 6 heures de route en direction de Saint-Brieuc avec un nouvel inconnu. Le trajet se passe sans souci dans des conversations à bâtons rompus avec un Bourguignon de souche qui ne cesse de vanter sa Bourgogne natale à la Burgonde d’adoption que je suis.
Une énorme averse de grêle sur le chemin laisse présager la météo Bretonne.
Je suis descendue dans le parking d’un Mac Do entre deux éclaircies, mon co-voitureur repart à peine que je vois la petite voiture blanche surgir avec son éternel sourire collé au visage.
Elle me jette dans la voiture et m’emmène voir la mer pendant que le temps se dégrade tranquillement. Le temps d’arriver sur le chemin des douaniers que vent et pluie se lève, on fait un rapide petit tour, elle me montre quelques curiosité et surtout la vue imprenable sur la mer depuis le haut d’une falaise.
La mer est belle mais elle est toujours belle, cette mer étrange qui fait des marées que celle de ma naissance ne faisait pas. Je dois être arrivée depuis une demi-heure et j’ai déjà la mer à mes pieds.
Elle est fière de me faire découvrir son fief, elle est fière de l’endroit qu’elle a choisi pour vivre et je crois que quelque part elle est fière de me montrer combien elle, l’étrangère, elle aime mon pays.
C’est ce que j’aime chez les migrants, leur conscience exacte de la chance de vivre dans ce pays, la façon dont ils aiment un pays dont je porte la nationalité et dont je me sens tellement exclue par un lieu de naissance situé sur un autre continent.
C’est les migrants qui m’ont fait aimer la France bien plus que les français.

Elle me ramène chez elle, son “vrai” chez elle. Et là, c’est sa fierté de s’en sortir seule que je peux palper et j’aime ça chez elle, cette façon de se rassurer dans les yeux des autres quand sa détermination est tellement évidente pour tous qu’on s’étonne toujours qu’elle puisse douter. Elle m’émeut toujours dans ces moment-là, si femme, si fragile et pourtant.
La soirée se passe tranquillement et l’air de la mer nous jette au lit tôt dans la soirée.

Lundi 28 avril :
Tout va de mal en pis, mon téléphone est éteint et je n’ai pas le code Pin, la connexion web est plus que capricieuse et le premier essai d’enchaînement s’arrête en cours sur une douleur aiguë de ma clavicule. Nous sommes déçues toutes les deux, une fois l’inversée passée nous ne pensions pas avoir un autre obstacle.
Cette douleur sur la clavicule nous cueille par surprise. Moi, la première qui remonte de l’inversée avec tout le soulagement du monde, je me relâche et la douleur de la corde sur ma clavicule s’abat sur moi avec une violence égale à mon soulagement comme si l’un avait donné de l’ampleur à l’autre.
La journée s’enchaîne avec des soucis purement logistiques d’intendance.
Mes histoires de téléphone, de connexion et de co-voiturage se débloquent.

Elle me promène dans les ports du coin, succession de petites villes portuaires où elle me décrit ses petites habitudes ou ses souvenirs, elle me promène en elle-même, une autre façon de s’offrir.
Notre 2° essai en fin de journée ne sera guère plus concluant toujours limité par l’os iliaque cette fois. Toujours talonnées par des impératifs de temps, elle décide de revenir vers des valeurs sûres et éprouvées dès le lendemain.
Pour chacun des essais, elle essayera les yeux bandés avec les cordes préalablement disposées sur une étagère et découvrira mes petits soucis de latéralisation.
Nous nous couchons moulues devant le remake 2013 d’Angélique où je découvre pourquoi Joffrey a une cicatrice.

Mardi 29 avril :
Elle a décidé de revenir aux fondamentaux toujours avec les yeux bandés.
Mais cette fois, pour éviter mes longs moments d’hésitation pour désigner la droite et la gauche, elle passe les cordes à sa taille avec une écharpe nouée.
Les figures s’enchaînent, je la sens fiévreuse au début et comme toujours, elle se calme à mesure que les cordes se posent. Les 3 poses se passent sans souci et me voilà au sol encore un peu décollée alors qu’elle ne souhaite que parler pour lâcher sa tension disparue.
Un pied vaguement en équilibre sur le sol, l’autre encore accroché à presque 180° en l’air, j’essaye de trouver une suite logique dans mes pensées pour lui répondre autrement qu’avec des monosyllabes. Elle termine de retirer le harnais de bassin, elle écoute la musique avec acuité et se met la pression seule en entendant le dernier morceau.
Elle me lance un impératif : “Agenouilles-toi” auquel je commence à obéir avant d’être arrêtée par la corde qui maintient encore le TK, je lui réponds penaude un “je crois que je ne peux pas !” qui lui fait immédiatement comprendre son oubli, vite réparé.
Elle me serre dans ses bras, m’explique que pour elle, depuis Moscou, il y a comme une dimension en plus qui nous lie.
Et je crois que c’est Moscou qui nous lie, tous ce qu’il a fallu traverser pour y arriver, l’énorme satisfaction d’y être arrivée et surtout la certitude de pouvoir le faire. Le temps nous donne en certitude et cette certitude forme le lien. Elle me remercie de ma confiance pour la laisser m’attacher les yeux bandés et justement, je ne crois pas qu’il s’agisse seulement de confiance, avec elle, je suis bien dans la certitude que jamais elle ne me mettra en danger volontairement, son cocon de précautions est une Certitude, une sorte de Vérité.
Comme elle Sait pour les cordes, je Sais qu’elle Sait. Une sorte d’entrée en religion.
Ravies d’avoir atteint les objectifs nous décidons de nous accorder l’après-midi.
La revoilà, à me promener dans toute la Bretagne et je m’amuse encore de nos paradoxes, la migrante Serbe et la déracinée d’Algérie qui se rejoignent au sommet des falaises Bretonnes, j’aime que ce soit elle qui m’offre ce terroir, il lui va bien.

Une grande promenade sur les falaises vers le Cap Fréhel, une plus petite ballade vers le Fort Lallate , le soleil nous suit partout, nous prenons des couleurs en en voyant de toutes les couleurs. Elle me raconte tous ce qu’elle sait des lieux que nous visitons toujours dans sa volonté de partager, elle nous mitraille pour continuer la série “Mila&sand” à la plage, au lac, etc.
Retour lessivées de notre grande journée pour s’effondrer devant la fin d’Angélique que nous n’avions pas vue la veille.

Mercredi 30 avril :
La répétition se passe sans événement majeur, le nœud de derrière du harnais de bassin bloque encore comme la veille malgré qu’elle l’ait changé mais comme elle prévoit toujours une échappatoire, cela ne lui pose guère de souci.
Je me sens plus réactive à elle, le fait qu’elle ne voit rien change subtilement ses mouvements de passage de cordes et je la trouve encore plus émouvante ainsi. Elle repasse discrètement et avec rapidité sur les cordes du bout des doigts pour “voir” si aucune corde ne se chevauche, si elles sont au “bon” endroit.
J’aime cette méticulosité chez elle qui m’entoure d’attentions. Il y a une belle émotion à partager ses cordes en aveugle, comme si le sens manquant s’ajoutait à ce qui nous lie. Il y a un bel enthousiasme dans sa fierté à accomplir ses enchaînements les yeux bandés, elle a l’excitation d’une gamine qui se lance un défi et le réalise.
Elle commence à dire que finalement, elle n’aura besoin de personnes pour lui passer les cordes et ça appartient à cet auto-déterminisme que j’aime en elle.
Elle regarde les horaires de marées et nous voilà parties pour une longue sortie aux pieds de falaise, entre coquillages, falaises et mer. La vie coule doucement, les paysages sont saisissants et replacent à taille humaine.
La soirée s’efface doucement quand l’instantanéité du web la renvoie à Moscou, ses doigts pianotent et le verdict tombe Vlada, Raïssa et Falco reviendront de Munich avec nous pour un arrêt à Limoges.
L’impatience la transporte sur un nuage, elle enchaîne de nouveau, mille projets pour parfaire leur séjour, elle sourit, elle pétille. Je reconnais cette façon d’emplir le vide et de s’agiter pour oublier, je la laisse s’y absorber pour continuer d’exister, construire sa vie d’un jalon à l’autre, empiler les objectifs parce que de toute façon, il faut bien continuer d’avancer.
Mon miroir de moi-même, si proche, tellement semblable, toute l’indulgence que je n’ai pas pour moi, j’arrive à l’avoir pour elle.

Jeudi 1 mai :
La répétition se passe sans vrai souci, certains nœuds se bloquent encore mais même avec quelques imprévus, cela passe toujours au niveau du temps. Plus sûre d’elle-même à mesure de nos essais, elle se permet quelques fantaisies, s’amuse de moi, me laisse mariner dans l’inversée, juste parce qu’elle sait que je m’accroche à sa volonté et que si elle dit que je peux alors je pourrais.
J’aime sa façon d’avoir foi en moi, j’aime la façon dont elle me porte ainsi et tire le meilleur de moi-même au-delà de ce que j’aurais cru de moi.
Je me demande si je la porte autant dans ma confiance, qu’elle ne me porte dans la sienne. J’aime cette certitude entre nous, cette évidence qui nous joint dans les cordes.
Après avoir brillamment relevé le défi de trouver un tabac ouvert le 1° mai, nous partons à l’intérieur des terres pour découvrir une Bretagne plus rurale mais toujours aussi brute.
Difficile montée d’un sentier pour découvrir les restes d’anciennes carrières d’ardoise et tout en haut, sur la crête un alignement de dolmen en allée, je ne crois pas en avoir jamais vu un si bien conservé, seules dans ce nul part, nous jouons les touristes et elle nous bombarde de photos, la pluie nous hâte sur le chemin du retour sans vraiment réussir à nous mouiller.
Nous continuons avec les ruines d’une Abbaye incendiée, lieu fantasmagorique, on cherche presque le dragon qui a brûlé le bâtiment dans les fossés alentour, la visite du magasin de minéraux à proximité achève de nous convaincre de la magie des lieux. Pour terminer avec une petite promenade au bord du Lac de Guerledan d’où la pluie nous chassera finalement.
Elle prolonge la balade en enchaînant les détours, elle a mille choses à me montrer, chaque croisement est une nouvelle occasion de découvrir un nouveau site : Montcoutour (le bien nommé), les grèves et la plage une dernière fois.
Je n’arrive pas vraiment à penser au retour du lendemain, tout est si calme, si paisible, tellement loin de tout. Je crois qu’elle ne veut pas y penser non plus et prolonge la ballade comme pour nous gagner du temps.
La soirée se passe à préparer mes affaires pendant qu’elle travaille sur les photos qu’elle a faites pendant notre promenade.

Vendredi 2 mai :
Réveil tranquille, dernier coup d’œil à la marina et la petite voiture blanche m’emmène au point de rendez-vous avec ma co-voitureuse.
Mon premier co-voiturage familial, seule avec 3 générations de femmes d’une même famille, la Bretagne reste en surimpression des paysages du voyage.
Je sais que pendant que je rentre chez moi, elle va partir se faire bichonner chez une amie, je trouve ça bien, je suis contente que les gens prennent soin d’elle comme elle prend soin de nous.

Je sais que je la revois bientôt pour une de nos nouvelles aventures de folie, parcourir en voiture les kilomètres pour aller à Munich et en revenir sur le temps d’un week-end.
Drôle d’aventure où elle m’emmène encore et qui construit encore et toujours ce lien entre nous dans une dimension encore différente, j’aime qu’elle est décidé d’entrer ma vie.

 A ma pétillante, à ton sourire éclatant et à toutes les douleurs qu’il cache parce que finalement c’est sans doute ce qui nous lie, cet acharnement qui naît de la survie.