samedi 30 octobre 2010

FIP 39

Lendemain de soirée et souvenirs à épingler.

Une soirée où j'arrive maussade, heureuse de retrouver l'équipe mais déçue par le fait que nul manieur de corde ne se soit annoncé. Et je sais bien que c'est pourtant ma meilleure option d'étancher ma soif de découvrir, d'explorer et d'apprendre les jeux de cordes.
Mon play-partenaire est encore "niveau grand débutant" et apprend plus de moi que je n'apprends de lui. Je devine par trop ses hésitations pour me détacher complètement de moi-même même si je profite du confort indiscutable de l'intimité et que ces moments-là sont toujours générateurs d'introspection.

 La soirée s'égraine, deux manieurs de cordes sont finalement présents, je les repère à leur petite mallette. C'est un couple. Elle semble débuter, je connais même les passages de cordes qu'elle met en place et il reprend ses nœuds en vérifiant la tension des cordes qu'elle place. C'est idiot et peut-être snob mais c'est la corde synthétique qu'elle place sur un travesti pour réaliser une sorte de corset qui m'arrêtera dans mon frémissement d'élan pour quémander un jeu de nœuds.

 Et c'est un autre manieur de corde qui attirera mon attention. Plaçant typiquement de quoi mettre en place une suspension, je le regarde s'affairer d'un œil curieux. Puis finalement, il commence à attacher d'abord un homme puis une femme. Sa façon de jouer avec la suspension me rappelle un ami avec qui je n'ai pas pu jouer à cause d'un vilain rhume mal tombé et m'interpelle forcément.
Pourtant, ça serait bien la première fois que j'irais quémander des nœuds auprès d'un inconnu total et je ne sais pas bien si j'en serais vraiment capable. Mais mon regard dérive trop facilement sur les cordes et voilà que M. se matérialise devant moi, cet espèce de grand dingue envers qui j'ai une confiance infaillible - concernant certains sujets, du moins.
Quelque part, je n'attends qu'un assentiment quelque peu favorable et tout compte c'est presque un concert d'éloge que je reçois en guise de présentation. Et ça me servira de "courage" pour aller finalement le voir.
 Il me répond qu'il veut bien m'accorder un peu de son temps pour un jeu de cordes mais désire une légitime pause avant de repartir à faire des nœuds.
Qu'importe toutes les pauses du monde, si je suis sur le carnet de bal.

Il disparaît puis finit par réapparaître avec un petit signe de tête. Je le suis et il me désigne ses cordes en m'expliquant qu'il désire les ranger. Je m'assieds à côté de lui, je ne sais jamais si j'ai le droit ou non d'aider à ranger des cordes. Dans le doute, je m'abstiens mais je reste avec lui, après tout ces cordes ils les préparent un peu pour moi quelque part. Je remarque qu'il a une façon toute particulière de les ranger avec une espèce de boucle au début.
Et puis, il me demande ce que je souhaite. Deux fois qu'on me pose cette question, deux fois que je ne sais pas quoi y répondre. Je suggère que du moment qu'il est question de cordes, je suis pratiquement prête à tout. Il me parle de ma condition physique et je voudrais un joker pour ne plus répondre à celle-là, comment résumer ça en une phrase courte et concise...
Il me parle d'une suspension avec un final où il est question de nouer mes jambes dans son dos en tenant mes abdos. Cela ne me parait pas surréaliste mais c'est tellement difficile pour moi d'être positive sur moi-même.
Et puis, zut, mes choix de vie sont trop décalés, je ne sais pas si je suis sportive, mais je sais que je peux me battre et avoir le dessus donc forcément que mes abdos doivent pas être trop mous.
Dix milles réponses possibles flashent en une minute et je crois que je réponds simplement "oui" car c'est encore le plus clair.
 Il commence à placer ses cordes sur moi, bras croisés dans le dos... Touchée.
Il me dit que la façon dont je place mes poignets est la bonne. C'est le premier à me le dire, ça, aussi, ça me touche.
Il place ses cordes de cette façon englobante que j'ai découverte avec A.S. mais sans les serrer et c'est complètement différent. Il y a ce côté englobant de la mise en place de la corde qui est simplement enivrant de mon point de vue, avec la tension de la contrainte vraiment présente mais avec une sorte de subtilité là où A.S. avait un côté plus "brut" (ou "brute" d'ailleurs, sans sens péjoratif aucun).
Étrange et déroutant comme toute nouvelle découverte. Une main furtive passe entre mes seins et sa voix explique aussitôt qu'il vérifie que le placement des cordes n'appuie pas sur le sternum. Il continue de placer ses cordes et j'essaye au mieux d'en faciliter l'oeuvre.
Puis il me demande de m'agenouiller, toujours de façon très pédagogique en m'expliquant le pourquoi de sa demande et j'apprécie qu'il en prenne le soin même si quelque part cela n'a pas d'importance. Si j'accepte de porter ses cordes, je m'en remets totalement à lui. Mon rôle ne consiste plus alors qu'à le prévenir en cas de fourmillement, coupure de circulation et autres inconforts trop présents. Mais c'est sans doute ma propre vision de ce genre de jeux. Il me prend la cuisse et place les cordes.

Je commence à comprendre la position et je sens déjà la suspension dans mon buste. Et je réalise, soudain, que tout va finalement aller très vite comme ma première suspension avec A.MoR.
Je crois qu'il me faudra encore quelques expériences du genre pour ne plus être surprise quand finalement la suspension en elle-même se met en place. Le fait d'avoir les bras contraints me coupe trop vite de la réalité, quelque part pour que j'analyse en temps réel ce qu'il se passe. Il prend ma cheville et me dit de me laisser aller dans la suspension en pliant vers l'avant, avec un bustier en latex...
Une fois, dans la suspension, il me berce doucement et m'explique les mouvements que je peux faire et leurs effets. Les cordes deviennent le centre de mon univers et je m'amuse avec d'une manière qui m'étonne moi-même.

C'est une autre façon de disposer de son corps et c'est une belle découverte qu'il m'offre là. Les cordes me sciaient la cuisse quand il terminait ses nœuds mais finalement une fois le poids réparti c'est quelque chose de totalement accessoire. L'esprit associe différentes images au souvenir de la sensation, dont une scène de ménage avec un fourreau à bras de la "house of Gord" qu'il décrypte d'une autre façon. Même si je voue une sorte de culte aux créations de Gord et que j'admire sa façon d'explorer la forniphilie, il y a toujours une sorte de bémol en moi qui modère mon enthousiasme avec la réalité de ma façon d'être. Et cette femme en catsuit, fourreau à bras et ballet-boots en train d'épousseter avec un bâillon se terminant en plumeau faisait quelque part parti du surréalisme de Gord. Mais maintenant que j'ai moi-même expérimenté cette immobilité fixe des membres inférieur alors que les jambes restent libres, je vois la scène d'une manière différente et j'en comprends mieux le sens pour la protagoniste.

Disposer de soi-même autrement mobilise l'esprit en le focalisant sur un élément précis : auto-hypnose et autres états modifiés de conscience. Je passe parfois à côté d'évidences...
Une autre image apparaît aussi c'est celle d'A. dans les cordes d'A. Mon propre jeu dans les cordes étant évidement à 100 lieues de sa maîtrise, la similitude des deux jeux est pourtant évidente même si ses bras étaient libres.
Et c'est une direction des jeux de cordes par laquelle je ne m'étais pas sentie particulièrement attirée jusque là et dont je devine mieux la dimension. Cela me ramène à un rapport exclusif avec la corde que j'associe à celui d'A.S., une même façon de vivre la chose pourtant chacun d'un côté de la corde.
Et le simple fait qu'une corde bien placée puisse suffire à effacer la réalité de mon univers devrait m'interroger sur ce type de relationnel dont je saisissais mal la tangibilité avant de l'expérimenter. Il arrête les balancements et essaye de placer une autre corde sur mes hanches mais ma tenue ne l'aide pas, j'essaye de me placer dans les cordes pour faciliter son oeuvre.

La morsure des cordes redevient présente, surtout dans le bras gauche sur lequel je m'appuie. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis dans les cordes mais j'ai l'impression que c'est à peine une poignée de minutes. Mobiliser la volonté pour effacer la douleur quand des fourmillements persistants poussent sur mes lèvres les mots de la fin. Il me ré-explique le final dont il m'avait parlé.
Les fourmillements s'arrêtent comme d'un seul coup et j'ai la sensation étrange et douloureuse que mon bras "se vide". Mon bras mobilise tout mon esprit alors que j'essaie d'exécuter au mieux ce que l'on attends de moi.
Puis, à un moment, il touche une corde et alors que mes poignets sont toujours solidaires, je sens mon bras reprendre vie avec une sorte de vague de picotements chauds. Autour de moi, le monde recommence à palpiter.

C'est la fin de soirée, il faut ranger et je suis assise sur l'estrade avec encore quelques cordes sur moi. Je voudrais m'allonger là où je suis sans bouger, je voudrais fumer, je voudrais prendre le temps de revenir, je voudrais, enfin, j'aurais voulu...
J'essaye d'échanger des paroles rationnelles avec lui et de lui faire passer ma gratitude puis l'esprit bascule dans une autre forme d'automatisme et je vais ranger tractée par la force de l'habitude. Avec pourtant une nette sensation d'inachevée que j'avais déjà perçue en sourdine avec N. et je me demande à quel point le bondage reprend les rituels du BDSM et si l'aftercare y a sa place, logiquement oui dans une optique affichée d'état modifié de conscience.
 Il y a comme une sorte de magnétisme qui me ramène par vagues vers l'encordeur, pour échanger quelques phrases trop superficielles pour se justifier.

A un de ces moments, il me parle des marques que je porte encore, je passe ma main dessus, on sent le dessin de la trame de la corde : j'adore. Quelque part, ces marques qui m'enserrent les épaules comme le ferait un bras réconfortant prolongent l'expérience dans le sens d'un aftercare.
J'espère intérieurement qu'elles seront encore présentes le lendemain au moins.