samedi 27 novembre 2010

FIP 40

La Mano à fond dans les oreilles.
Parce que la personne à qui s'adresse le plus ce report - après mon autre moi-même - a parlé de ce groupe avec une sorte de ferveur dans la voix qui laisse entendre que c'est quelque chose d'important et que ça colle avec l'âge supposé. Et c'est Soledad que j'ai choisi dans le choix de la première page de Youtube. La Mano Negra, les années 1990... une décennie où j'étais trop occupée à passer à côté de ma vie ou simplement de la vie.
Pourtant, la Mano c'est bien le seul groupe qui aura réussi à me faire dresser une oreille attentive sur ces années-là. Certainement à cause de l'usage de l'espagnol, ma première langue au bac et peut-être aussi parce que les chansons reflétait une certaine réalité de ma vie de l'époque.

Fin de digression, c'est la Mano qui rythme mes mots et c'est étonnant pour un souvenir que j'habillerais plus facilement d'Heavenly Voices.

 Une soirée qui s'est placée dans ma vie comme un point d'étape.
Ces sortes de dates butoir sur lesquels on s'accroche pour continuer d'avancer quand on voudrait simplement s'effondrer. J'ai besoin de jalonner ma vie de ces dates qui donnent un sens à l’empilement des jours, ça me rassure dans un quotidien qui n'a, pourtant rien de quotidien.

H. a vu Nicolas au Cabaret Rouge, il s'est proposé pour jouer de ses nœuds à la FIP et il me l'a confirmé dans un mail rapide. Je sais que j'aurais au moins un jeu de cordes et il me suffit de rôtir tranquillement sur la grille de l'impatience. La mise en place gagne en rapidité à chaque soirée malgré les nouveaux inévitables imprévus et autres impondérables.
Finalement, il nous reste 1h30 avant la soirée quand le plus gros est fait et qu'on peut se poser.

Nicolas arrive à peu près à ce moment-là. Il salue l'assemblée et s'approche de moi, échange de regard, comme une impression de connexion, quelque chose de la reconnaissance à l'autre. Je regarde avec lui comment il peut s'installer, je propose d'aider mais je ne suis d'aucune aide. Je pense que je reprécise encore combien je suis volontaire pour tous jeux de cordes et finalement, je m'éclipse. Je ne sais pas m'imposer. Tout est finalement en place à temps et la soirée se lance.

Les débuts de soirée sont toujours pénibles, le son n'est pas assez fort pour se mettre dedans, la foule éparse jette des regards inquisiteurs à la salle, c'est comme un flottement de transition un peu brouillon.

Nicolas vient me proposer un jeu du corde, arguant, à raison, que l'absence de public du début de soirée est propice. C'est totalement différent de toutes les autres fois, puisque c'est la première fois que je pratique avec quelqu'un avec qui j'ai déjà joué. Mes doutes sur ma latitude d'action ont été balayé par une discussion avec qui de droit. Ma confiance de la première fois est devenue une certitude.
Il prend mes mains, constate de lui-même qu'elles sont froides malgré mes mitaines en laine - tout se paye, c'est mon tribut au LSD, et c'est pas si cher payé. Il prend la mesure de mon état de fatigue/nerf en massant mes épaules, il parle de scoliose à propos de mon dos, je dis juste que c'est compliqué, il répond qu'il ne veut pas savoir et c'est plus simple - même si je sais facilement résumer des choses qui ne le devraient pas.
Il prend ma main et commence son jeu de corde en me maintenant la main droite en l'air avec son point de suspension et ramène mon autre main sur mon buste. J'apprécie de retrouver sa façon de passer les cordes : j'aime ses mouvements doux, assurés et dépourvus de toute hésitation perceptible.
C'est comme un doux ronronnement rassurant qui facilite ma dérive, il y a comme une rythmique dans ses mouvements que je ne retrouvais pas dans les passages successifs et appliqués de F.JD. pour arriver à placer ses cordes très exactement à l'endroit où il l'avait prévu. Et toujours ces rapprochements avec l'auto-hypnose qui me semblent d'une évidence incontournable.
Et là, encore, jusqu'où le bondage emprunte les codes du BDSM ? là où le BDSM parle de subspace qu'en dit le bondage...
Avec le recul, je constate aussi que les jeux de contrainte n'amènent pas les mêmes processus mentaux. Là où je cherchais à comprendre la finalité sur un défi quitte à en brouiller les premiers instants ; ici, je sais que la finalité est la contrainte et qu'importe le moyen, puisque je connais le résultat. Et je ne suis pas encore habituée à l'idée de la passivité physique et psychique qu'induit chez moi ce genre de jeux, sans pourtant de sentiment de renoncement. Mes bras sont maintenant contraints et il continue de placer des cordes sur moi sans que je comprenne vraiment toutes les subtilités de son oeuvre - quelque part, je m'en veux, j'ai l'impression que ce n'est peut-être pas respectueux de son travail des cordes que d'y prêter si peu d'attention - avec les yeux du moins.
Cordes : Yoroi (http://yoroi-shibari.net/) - Photo : Paradoxal Studio ( http://www.paradoxal-studio.com/ )
Comme toujours, il y a cette micro-fraction de seconde où le corps se bande pour éprouver les cordes comme dans un mouvement réflexe et tout de suite derrière un intense relâchement que je n'ai l'impression d'éprouver que dans les cordes. La réalité passe à un autre niveau pour se résumer au bruit et à la sensation de frottement des cordes.
La dérive me fait parfois perdre l'équilibre mais on dirait qu'il y a comme un niveau de conscience en sourdine qui attrape la corde de la main droite pour se rétablir, le geste s'effectue avec un naturel déconcertant, c'est une évidence, alors que c'est une première fois et que je n'ai même pas le niveau de conscience nécessaire, quelque chose de l'ordre de la mécanique pure, c'est le corps qui se prend en charge lui-même, tellement différent de ce que je suis, déroutant.
Cordes : Yoroi (http://yoroi-shibari.net/) - Photo : Paradoxal Studio ( http://www.paradoxal-studio.com/ )
Il place ses cordes, déplace d'autres cordes, change certaines positions, j'ai l'impression de retrouver le dernier jeu de cordes avec A.S. qui m'avait si profondément troublée. Instinctivement, j'ai appuyé ma tête sur mon bras, je dodeline au rythme de la corde sans effort. Son jeu de corde remonte et il passe une corde en travers de mes yeux clos.
Tout cela paraît logique quelque part, j'ai l'impression d'être recouverte littéralement de la tête aux pieds d'un cocon de cordes et rien d'autres n'a vraiment d'importance. Puis les cordes se dénouent, sans se renouer, le froid me saisit.

Cordes : Yoroi (http://yoroi-shibari.net/) - Photo : Paradoxal Studio ( http://www.paradoxal-studio.com/ )
Une pensée furtive me rappelle les perles de soumises de Khayyam's Alamut : "C'est vrai que ça tient chaud, les cordes, en fin de compte".
Je voudrais du calme, je voudrais de l'intimité, je voudrais une bulle, peut-être même que je voudrais pleurer, je ne sais pas. L'esprit se réveille dans une espèce de brume et se cogne à la réalité en générant des actes désordonnés et sans suite logique.
Finalement, je me pose sur une chaise mais cela n'est pas suffisant pour amortir la confrontation brutale avec la réalité. J'ai comme un sentiment intense de vide qui me donne l'impression d'avoir été nulle, de ne pas lui avoir fait passer ma reconnaissance...

 La soirée reprend son cour et je descends vider les cendriers. En passant à proximité d'un groupe, une voix masculine m’interpelle d'un ton appréciateur " mais c'est notre modèle shibari !". Et si le ton n'avait pas été si conquérant, je lui aurais peut-être répondu qu'il faisait erreur, que je n'étais pas modèle, loin s'en fallait, grande débutante que je suis.
 Mais sa tonalité d'acheteur de foire aux bestiaux se butte à l'amazone libre en moi et j'ignore ce qui n'est pourtant qu'une sorte de prélude à ce qui restera le thème de la soirée : "mon lâcher-prise".

Puis à un moment, Nicolas revient me voir et me propose de faire une suspension ensemble.
Coup au cœur.
 La soirée se poursuit dans le froid et il est bien occupé par diverses demandes de nœuds.
Pourtant, à un moment, il se matérialise devant moi. Je le suis.
Il parle de suspension de côté et me demande de retirer mes chaussures. Il commence d’emblée par lier mes membres supérieures.
La fatigue m'aide à décrocher encore plus vite et le reste est flou.
J'essaye pourtant de maintenir un semblant de vigilance en me rappelant que la mise en place de la suspension proprement dite est quelque chose de rapide. Il place ses cordes sur ma cuisse gauche, me la lève, fait quelques mouvements qui tiennent presque de la magie pour moi et me voilà suspendue. Il me fait comprendre de maintenir mon autre jambe au niveau de la première pour passer ses cordes. Mon buste et mes membres supérieurs me servent d'appui, je retrouve quelque chose de proche de la suspension avec F.JD. : une autre façon de disposer de soi.
J'essaye de bouger mes jambes comme il me l'avait appris mais ma latitude de mouvement est différente même si mon ressenti dans l'espace est assez proche. Je me laisse re-dériver dans la contrainte bercée par ses mouvements et ses passages de cordes, le temps s'efface.
C'est la fatigue des cervicales qui me rattrape et sonne le glas de ma suspension.
Encore une fois, je m'en veux de si peu de résistance, même si il me dit que ce genre de suspension est a priori plus difficilement supporté en occident.
On échange encore quelques propos de discussion non abouties où l'on se remercie mutuellement, chacun expliquant à l'autre combien il a surtout la sensation de prendre.
Et si j'ai une conscience aiguë du temps qu'il m'accorde, de l'attention qu'il me porte pendant les jeux de cordes, je ne vois pas en quoi lui, il pourrait bien me "prendre" quelque chose...

Je le quitte à grand regret avec ce même goût d'inachevé que la première fois et c'est sans doute plus à mettre sur le compte de mon éternelle soif de contrainte. Plus tard dans la soirée, V. revient me voir, elle me parle encore de l'attitude que j'ai dans la contrainte, j'essaye encore de lui faire comprendre que je n'y vois rien d'exceptionnel outre le talent de l'attacheur.
Elle part dans une de ces phrases-vérités en expliquant que ce que je renvois est si fort que cela rend l'acte beau et plaisant à regarder pour le public - plus plaisant qu'avec d'autres volontaires selon elle. Et même si le pincement au cœur que je ressens quand elle m'explique me permet de deviner qu'elle a raison, c'est trop loin de la réalité que j'ai de moi-même pour que je puisse comprendre.
Puis c'est F., le motard, qui m'aborde sur la piste de danse pour me dire que ma façon de m'abandonner dans les cordes est quelque chose qu'il a apprécié.
Et là encore, je ne sais pas bien quoi répondre...
En fin de soirée, c'est T. qui vient me voir en me disant qu'il a fait des photos et qu'on voit bien comment je m'abandonne, rejoint par N. qui explique presque que c'était si captivant qu'elle a préféré regarder plutôt que de photographier.
Encore, une fois, je déments et en accorde tout le bénéfice aux jeux de cordes de Nicolas vers lequel ils se tournent par réflexe et il répond simplement : "non c'est elle" en me désignant du menton.

Et je crois qu'il sera là mon plus grand défi avec les cordes : comprendre.