mardi 11 octobre 2011

Comme un bad de cordes

C'est comme si je me tapais une des pires descentes de ma vie.
Cela m'a pris hier soir avec des envies de me flinguer, des visions de pendaisons - je pense en images comme j'ai une mémoire visuelle.
Et ça continue ce matin, hier, je savais pas bien mais là, il y a ces palpitations typiques, cette espèce de nervosité agaçante, cette incapacité totale à tout sauf aux automatismes.
Cette sensation papillonnante dans le haut du dos comme un voile d'irréel.
Ces tremblements dans les mains, cette espèce de tremblement de soi, j'ai même envie de boire c'est dire.
Le truc c'est de reconnaître, après, quand on sait que c'est une descente, on sait que ça va forcément s'arrêter, tout est question de patience.

Même si, même en reconnaissant ça m'angoisse toujours, je pense que c'est l'esprit qui prend le pas sur le rationnel et qui amplifie tout pour me ramener à d'autres automatismes.
D'ailleurs rien que le fait que je sois capable d'en parler c'est plutôt positif tu me diras.

[...]

C'est sûr que moi, en descente, je peux me taper la piste noire ^^
Cela fait parti du deal, tout se paye, le Bon se paye avec une descente, c'est comme ça, che la vita. Juste que je n'avais jamais expérimenté cela sans béquille chimique, ou autre privation extrême de sommeil voir même expérience charnelle intense.
Quand à gérer une descente, pas 50 000 solutions soit tu peux dormir, soit tu peux remonter, soit tu dois te contenter des trucs automatiques en faisanr illusion en attendant que ça passe.

[...]

Je me tape une descente vraiment pas sympa et en plus, ce n’est même pas vraiment une descente puisque je sais bien que je n’ai rien pris…
Tremblements, nerfs à vifs, pensées désordonnées, fatigue intense, on dirait que j’ai pris un mauvais X…
Logiquement, je relie ça à la dernière soirée. Plus j’y repense plus je me dis que j’aurais dû aller m’isoler quelque part tranquillement plutôt que de rebondir – mal – sur le speed d’après.

Extrait de correspondance.

samedi 8 octobre 2011

Projet “vision trigonométrique”

Tout est une question de choix : il est plus facile de penser la vie ainsi et de nous donner une sorte d’incidence dans la manière dont elle s’écoule.
Malgré tout, la plupart du temps, elle choisit pour nous, des circonstances, qui donnent ou non leur devenir aux opportunités. A une agression de contrôleur prêt, cette opportunité aurait pu ne pas exister. Mais certaines rencontres ont quelque chose d’inéluctable, où tout s’inscrit dans la patiente certitude que les choses seront.

Deux ronds blancs dans une nuit d’octobre s’avancent dans la lumière blafarde d’un quai de gare aux allures de gare fantôme. Guetter les visages et chercher à reconnaître celui que l’on attend.
Instants flous de retrouvailles où deux chemins se mêlent, s’emmêlent et finalement se partage le même parcours.
Trouver ses marques et dépasser l’instinctif du ressenti pour aller vers l’autre, arracher un peu de soi. Laisser s’écouler les mots dans le rythme engourdi de la nuit : partager, échanger et avancer vers l’autre, dans la construction de l’estime qui crée la confiance indispensable au projet.
Poser les jalons d’un respect mutuel qui fera naître cette hydre à 3 têtes qu’est notre vision trigonométrique : trois mesures d’une même vue du kinbaku.

Le bruit strident d’un réveil.
Une grise matinée d’automne et la détermination sûre de notre triade. Un saut de puce en voiture, la contextualisation s’est faite en amont, via mail : les restes d’une caserne abandonnée depuis plus de 10 ans.
Présentation des lieux, soif typique de l’UrbEx : voir plus, le virus inhérent aux lieux abandonnés. C’est toujours difficile de se poser d’abord, dans ce genre d’endroit, il faut impérieusement explorer avant de finalement revenir sur ses pas et prendre les marques nécessaires aux premières prises de vue.
Quelque chose qui tient à la fois des vieilles peurs primales pour vérifier la quiétude d’un refuge et à la fois de la curiosité enfantine qui espère toujours trouver une sorte de trésor. Le lieu s’explore, s’inspecte et se dévoile, parle de lui-même, raconte son histoire.
Les volumes se découvrent, les décors s’enchaînent et notre propre histoire trouve sa place en surimpression.

Retour au calme du Mess des officiers, un peu à l’écart, paisiblement entouré d’un jardin où une nature exubérante reprend ses droits.
L’entrée se fait par un escalier qui grimpe sous une pergola couverte de feuilles mortes, puis débouche dans les restes d’un jardinet et une entrée condamnée sciée par les voleurs de métaux.
Le lieu est énormément saccagé, il reste même des traces d’incendie au premier étage.
Une enfilade de deux grandes pièces, des éclats de mobiliers et divers gravats, des fenêtres de toutes parts qui donnent sur le jardin perdu. Ce sera ici.

Prise de contact, il me palpe à ces endroits-clefs d’une philosophie orientale dont je suis bien ignorante. Comme un ostéopathe, il appuie par pression à divers endroits en attardant son geste comme on prend un pouls. Une petite manipulation presque instinctive qui replace une thoracique capricieuse. Et il avance vers ses cordes, enfin le nœud du sujet.
Premier passage net et définitif sur mes bras, c’est sans concession chez moi, une sorte de switch automatique. Il le sait, je sais que je lui ai déjà écrit (décrit ?) mais je sais aussi qu’à ce moment-là, la seule partie de lui qui s’en souvient peut-être c’est son inconscient.
Et c’est toujours troublant d’avoir cette lecture de l’autre quand il n’en a pas forcément conscience. Il saisit ma main droite et la fixe dans mon dos. Là encore, le geste se confond dans le ressenti d’automatismes en moi. Et je dois finalement terminer cette réflexion sur ces automatismes forts liés à la contrainte des bras chez moi.
L’esprit m’impose le souvenir enfantin de ces scènes de westerns si classiques dont une particulièrement dont la netteté des détails est un aveu en soi. Le contraste est fort quelque part de constater que malgré certains épisodes de ma vie où la contrainte ne participait pas d’un idéal érotique, elle ne s’est jamais manifestée sur les bras.
Une sorte de territoire abandonné à la virginité candide de l’enfance.
A l’évidence, il convient de revoir mes automatismes sous cet angle de vue très éclairant. Mais ces réflexions après coup sont tout-à-fait hors topic.

Au moment T, la seule chose évidente c’est cette contrainte réelle sur mes bras, c’est cette main tirée en arrière, c’est ses cordes que je peux ressentir dans la plénitude de l’entièreté quand je bande mes muscles pour prendre une profonde inspiration. Ce qui m’impressionne toujours avec N., c’est sa rapidité. Il y a toujours une sorte d’urgence dans ces gestes pour passer les cordes, quelque chose de l’impériosité du peintre qui matérialise son oeuvre. Il prend mon autre main et la place sur mon torse.
Toujours cette asymétrie qu’il affectionne. C’est le premier genre de pose où il m’a attachée avec la main gauche qui revient d’une manière ou d’une autre sur le torse comme en figure de protection. Amusant quand on connaît le symbolisme attaché à la main gauche.
Puis il commence enfin son véritable jeu de cordes, la touche qui donne à ses cordes leur particularité propre, cette façon de tisser les cordes qui lui est toute personnelle. Il joue de ma main, de mes doigts, passant un entrelacement complexe de cordes entre chacun d’eux. Pour continuer son passage de cordes sur mes hanches. J’aime cet équilibre qu’il donne avec ses liens entre le haut de chacun de mes membres, ça crée une sorte d’unité dans la contrainte, une touche de finalité toute en subtilité délicate.
Le jeu de cordes s’arrête, le frôlement caressant du papillon qui caractérise ses mouvements se paralyse dans le temps.
La distance de l’absence se ressent physiquement malgré le cocon de cordes. Les sens s’aiguisent pour pallier à l’absence et chaque bruit prend une ampleur démesurée. Les appareils photos qui fonctionnent me sont inconnus et je ne sais pas identifier lequel émet quel bruit, j’entends des bruissements de pas ou au contraire une buttée involontaire dans les gravats, le champs des oiseaux dans le jardin omniprésent, une sorte de spirale de bruits qui se répondent dans un écho sans fin.
La caresse du vent sur ma nuque nue, la délicate brise frissonnante qui me hérisse la peau et s’infiltre au plus intime de moi par le relais d’un frisson qui me possède plus à chaque souffle.
Une suite de bruits fracassants quelque part devant moi et les cordes qui tombent me rappellent à la réalité où le froid devient obsédant.

Je couvre d'emblée ma nuque avec ma capuche.
Et devant moi à l’endroit du bruit, je vois un point d’appui dans l’alignement du couloir.
Cette fois, il prend mes avant-bras et les lient sur le devant dans un entrelacement d’une symétrie exacte, une autre façon de tisser... Puis les fixent sur son point d’appui, l’évidence de me reposer sur ses mains jointes, l’instinct de me cacher derrière, penche ma tête vers mes mains avec en surimpression la sensation d’orienter définitivement la manière dont s’agencera ce jeux de nœuds.
Et même si il repart de mes chevilles pour me dessiner dans un cocon de cordes, c’est une évidence absolue, presque attendue du moins entendue quand je sens les cordes se positionner sur ma tête la solidarisant à mes mains jointes.
Et je trouve une autre dimension à son jeu de cordes, une dimension dont il m’avait parlé et que j’avais mal saisi où il était question de s’adapter aussi au modèle. C’est une réalité tangible à cet instant précis.
Puis de nouveau la sensation d’éloignement, les bruits de mouvements. Le doux ronron d’une situation connue et le froid ont raison de moi. Je sais que je m’assoupis une microseconde, juste assez pour avoir la conscience de me réveiller. Bander les muscles, sentir les cordes m’habiller. De nouveau, la proximité d’une présence et les cordes qui tombent.

Sauf les derniers liens sur mes poignets. S'enchaîne une suite de poses comme un exercice de style de jeux à une corde. Et la brûlure glaciale du froid reprend ses droits au moment où la dernière corde tombe. Le froid est impérieux et m’épuise.
Je dois finalement avouer ma limite. Et l’optique d’une boisson chaude nous ramène en des lieux habités.

Debrief de la matinée, je crois qu’on m’interroge déjà sur mes impressions mais je ne sais pas verbaliser quand je suis trop dans l’instant.
J’ai besoin de laisser les choses faire leur chemin en moi, retrouver le fil des souvenirs et démêler les émotions.
Visionnage des clichés, satisfaction du rendu des deux visions, petite promenade de mise en appétit, repas et retour sur les lieux du délit.

Cette fois, c’est en direction des caves que nous allons, immenses caves où courent d’énormes tuyauteries. J’aime passionnément leur esthétique industrielle, j’aime leur obscurité, j’aime leur dédale serpentant sous le bâtiment. Je crois que c’est l’endroit que je préfère dans ce lieu, quelque part.
Un puit de lumière dans l’ombre, N. sort ses cordes rouges.

Notre premier jeu de cordes avait des cordes rouges. Il commence la mise en place, toujours cette sensation de rapidité et cocon enveloppant. Je décroche vite, trop vite et je n’ai que des souvenirs flous en forme d’écho, les éclats de voix d’enfants jouant à proximité, l’éclat du flash du spot, les éclats de lumière d’un briquet qui s’allume.
Et finalement l’éclat de la voix de mon autre moi qui complimente ce qu’il voit. Mes mains sont liées sur le devant dans une posture trop proche de celles des menottes pour que je vive vraiment cela comme une contrainte mais mon buste est enveloppé d’un cocon de cordes qui permet de me maintenir au point d’appui où mon pied est aussi fixé.
Le berceau des cordes est à peine perceptible mais d’amples mouvements de respiration l’anime d’un balancement à subtil et tellement réconfortant. Le temps se suspend et m’échappe.
 Puis de nouveau, la sensation d’une présence, les cordes qui se délient, mon pied rejoint le sol mais les cordes restent sur mon buste.

Et changeant mon pied d’appui, il suspend l’autre vers l’avant. De nouveau, un profond sentiment de dérive en soi dans l’étreinte charnelle des cordes et l’intimité sécurisante de l’obscurité. Le temps s’échappe et me suspend.
 Un bruit derrière moi, un frôlement de papillon qui saisit mon visage dans une force d’émotion dont l’intensité me saisit.
Les cordes se font plus lâches, une main les délient, la réalité se retisse en sens inverse.
 Tout s’efface pour ne rester qu’un souvenir figé dans une image, le propre de l’art éphémère n’exister qu’ici et maintenant avec l’unique et l’instantanéité du moment présent.
Je crois que je me frotte les yeux, c’est toujours rustre le contact avec la réalité.

Nous reprenons notre exploration, je ne sais pas bien où nous allons mais j’ai beaucoup moins froid que le matin. Et c’est une croisée de couloir qui devient notre prochaine étape avec trou habilement placé sur une poutre porteuse.
N. installe un point d’appui et repart rapidement chercher un mousqueton oublié dans les sous-sols. De nouveau, il m’entraîne dans sa toile d’homme-araignée. Facilitant d’autant ma dérive qu’il lie mes bras d’abord. J’essaye de me maintenir dans un semblant de veille, le point d’appui que j’ai vu ressemble à une suspension.
Mais, je suis encore dans l’état propice de la fois d’avant. Je ne reprends vraiment conscience des choses que lorsque que je bascule en heurtant légèrement l’encadrure de porte.
J’ai la pensée idiote de me dire que j’aurais dû mettre mes mains et c’est seulement après que je devine qu’elles sont liées. Il me cale finalement avec une autre corde pour arrêter le balancement.
Et la posture s’épanouit d’elle-même.
Je ne sais toujours pas identifier lequel émet les bruits mais le déclenchement des appareils comme leur manière de bouger me sont désormais assez familiers pour qu’ils ne me maintiennent plus en alerte. La sensation d'apesanteur de la suspension termine de me dériver dans un ailleurs où le temps s’oublie. Les limites du corps me rattrape, je sais que j’émets un mouvement réflexe pour détendre un muscle, une sorte de micro-mouvement, un bruissement de soi, que N. remarque de suite, se matérialisant prêt de moi par cette présence encordante tellement caractéristique.
Les cordes se détendent et en une fraction de seconde, le vague inconfort s’est évanoui.
Des instants fondateurs de confiance qui construisent une relation. Comme si il lisait en moi, il reprend son jeu de cordes dans une autre direction.

Il me suspend par l’avant. Je penche la tête vers les cordes par automatisme pendant qu’il suspend mes jambes. La sensation de cocon est encore plus évidente dans cette posture de suspension. J’ai la sensation d’être dans un oeuf recroquevillée sur moi-même. Le bercement des cordes m’oublie, l’infini se semble vouloir se suspendre. Quand il saisit mes cheveux - référent personnel hautement intime - place ses cordes dessus et les utilisent pour fixer ma tête en arrière.
Spirale de moi-même, montée de dérive d’autant plus forte qu’elle s’était interrompue avec une sorte de violence. Je ne sens plus les cordes, j’appartiens à ce qu’elles sont dans une unicité qui n’est que l’évidence la plus totale.
L’éternité s’arrache à l’infini et de nouveau, je suis la limite de moi-même.
Encore un mouvement réflexe pour déglutir qui entraîne automatiquement l’arrêt immédiat de la contrainte. Les cordes tombent mais je n’en ai pas le souvenir, tout est flou.
Juste la proximité de N. et sa voix encordante : “ça a mis presque un an mais on a trouvé ta position”. Je ne sais pas bien de quoi il parle, c’est important pour lui alors acquiesce.

L’important pour moi à ce moment précis c’est qu’il souhaite continuer de me prendre dans ses cordes.
Il range ses affaires, il a manifestement autant de mal que moi à recoller à la réalité et moi, je n’y arriverais jamais vraiment du reste de la journée.
La charge émotionnelle de ses expériences nous a tous épuisé malgré notre satisfaction. un courant de sympathie et de respect mutuel nous anime tous et c’est sans doute le plus beau résultat que nous pouvions espérer.
 Une journée en forme de parenthèse dans des vies qui veulent se penser différemment et où l’expression de l’émotion reste comme une ligne de conduite.

La même journée/galerie par un autre œil.

Crédits : Cordes & photos couleurs par Yoroi (http://yoroi-shibari.net/) - photo N&B par Fab Crobard