dimanche 27 avril 2014

Plérin, avril 2014, BoundCon


Le premier week-end que j’avais passé avec elle, elle l’avait dit avec la conviction de ses certitudes : “ll faut que tu viennes en Bretagne.”
C’était tellement loin que c’en était un peu irréaliste dans ce premier week-end où nous tâtonnions dans nos repères de nous-mêmes pour apprendre à nous connaître.
Elle en avait reparlé plusieurs fois régulièrement au gré de nos rencontres mais le seul voyage programmé à l’époque était Moscou et c’était déjà fou.
Les choses étaient restées en suspens comme une promesse lointaine, un espoir plus qu’une réalité.

Mais dans ce mois de mai encore tellement imprégné de Moscou, elle demande à m’appeler et m’explique qu’elle est sans modèle pour Munich. Des soucis de santé retiennent la modèle annoncée sur l’événement, à cause de Moscou, à cause de ce qui s’y est construit entre nous, elle a spontanément pensé à moi.
Le temps de s’organiser et finalement, la Bretagne devient plus qu’une promesse en devenir. Trouver un co-voiturage dans un délai de moins de 10 jours ne sera pas la chose la plus aisée. Je verrais plusieurs places me filer entre les doigts pour qu’enfin je puisse aller la voir pour une durée raisonnable pour préparer le show.

 Dimanche 27 avril :
Je pars d’une sortie d’autoroute de l’A77 pour 6 heures de route en direction de Saint-Brieuc avec un nouvel inconnu. Le trajet se passe sans souci dans des conversations à bâtons rompus avec un Bourguignon de souche qui ne cesse de vanter sa Bourgogne natale à la Burgonde d’adoption que je suis.
Une énorme averse de grêle sur le chemin laisse présager la météo Bretonne.
Je suis descendue dans le parking d’un Mac Do entre deux éclaircies, mon co-voitureur repart à peine que je vois la petite voiture blanche surgir avec son éternel sourire collé au visage.
Elle me jette dans la voiture et m’emmène voir la mer pendant que le temps se dégrade tranquillement. Le temps d’arriver sur le chemin des douaniers que vent et pluie se lève, on fait un rapide petit tour, elle me montre quelques curiosité et surtout la vue imprenable sur la mer depuis le haut d’une falaise.
La mer est belle mais elle est toujours belle, cette mer étrange qui fait des marées que celle de ma naissance ne faisait pas. Je dois être arrivée depuis une demi-heure et j’ai déjà la mer à mes pieds.
Elle est fière de me faire découvrir son fief, elle est fière de l’endroit qu’elle a choisi pour vivre et je crois que quelque part elle est fière de me montrer combien elle, l’étrangère, elle aime mon pays.
C’est ce que j’aime chez les migrants, leur conscience exacte de la chance de vivre dans ce pays, la façon dont ils aiment un pays dont je porte la nationalité et dont je me sens tellement exclue par un lieu de naissance situé sur un autre continent.
C’est les migrants qui m’ont fait aimer la France bien plus que les français.

Elle me ramène chez elle, son “vrai” chez elle. Et là, c’est sa fierté de s’en sortir seule que je peux palper et j’aime ça chez elle, cette façon de se rassurer dans les yeux des autres quand sa détermination est tellement évidente pour tous qu’on s’étonne toujours qu’elle puisse douter. Elle m’émeut toujours dans ces moment-là, si femme, si fragile et pourtant.
La soirée se passe tranquillement et l’air de la mer nous jette au lit tôt dans la soirée.

Lundi 28 avril :
Tout va de mal en pis, mon téléphone est éteint et je n’ai pas le code Pin, la connexion web est plus que capricieuse et le premier essai d’enchaînement s’arrête en cours sur une douleur aiguë de ma clavicule. Nous sommes déçues toutes les deux, une fois l’inversée passée nous ne pensions pas avoir un autre obstacle.
Cette douleur sur la clavicule nous cueille par surprise. Moi, la première qui remonte de l’inversée avec tout le soulagement du monde, je me relâche et la douleur de la corde sur ma clavicule s’abat sur moi avec une violence égale à mon soulagement comme si l’un avait donné de l’ampleur à l’autre.
La journée s’enchaîne avec des soucis purement logistiques d’intendance.
Mes histoires de téléphone, de connexion et de co-voiturage se débloquent.

Elle me promène dans les ports du coin, succession de petites villes portuaires où elle me décrit ses petites habitudes ou ses souvenirs, elle me promène en elle-même, une autre façon de s’offrir.
Notre 2° essai en fin de journée ne sera guère plus concluant toujours limité par l’os iliaque cette fois. Toujours talonnées par des impératifs de temps, elle décide de revenir vers des valeurs sûres et éprouvées dès le lendemain.
Pour chacun des essais, elle essayera les yeux bandés avec les cordes préalablement disposées sur une étagère et découvrira mes petits soucis de latéralisation.
Nous nous couchons moulues devant le remake 2013 d’Angélique où je découvre pourquoi Joffrey a une cicatrice.

Mardi 29 avril :
Elle a décidé de revenir aux fondamentaux toujours avec les yeux bandés.
Mais cette fois, pour éviter mes longs moments d’hésitation pour désigner la droite et la gauche, elle passe les cordes à sa taille avec une écharpe nouée.
Les figures s’enchaînent, je la sens fiévreuse au début et comme toujours, elle se calme à mesure que les cordes se posent. Les 3 poses se passent sans souci et me voilà au sol encore un peu décollée alors qu’elle ne souhaite que parler pour lâcher sa tension disparue.
Un pied vaguement en équilibre sur le sol, l’autre encore accroché à presque 180° en l’air, j’essaye de trouver une suite logique dans mes pensées pour lui répondre autrement qu’avec des monosyllabes. Elle termine de retirer le harnais de bassin, elle écoute la musique avec acuité et se met la pression seule en entendant le dernier morceau.
Elle me lance un impératif : “Agenouilles-toi” auquel je commence à obéir avant d’être arrêtée par la corde qui maintient encore le TK, je lui réponds penaude un “je crois que je ne peux pas !” qui lui fait immédiatement comprendre son oubli, vite réparé.
Elle me serre dans ses bras, m’explique que pour elle, depuis Moscou, il y a comme une dimension en plus qui nous lie.
Et je crois que c’est Moscou qui nous lie, tous ce qu’il a fallu traverser pour y arriver, l’énorme satisfaction d’y être arrivée et surtout la certitude de pouvoir le faire. Le temps nous donne en certitude et cette certitude forme le lien. Elle me remercie de ma confiance pour la laisser m’attacher les yeux bandés et justement, je ne crois pas qu’il s’agisse seulement de confiance, avec elle, je suis bien dans la certitude que jamais elle ne me mettra en danger volontairement, son cocon de précautions est une Certitude, une sorte de Vérité.
Comme elle Sait pour les cordes, je Sais qu’elle Sait. Une sorte d’entrée en religion.
Ravies d’avoir atteint les objectifs nous décidons de nous accorder l’après-midi.
La revoilà, à me promener dans toute la Bretagne et je m’amuse encore de nos paradoxes, la migrante Serbe et la déracinée d’Algérie qui se rejoignent au sommet des falaises Bretonnes, j’aime que ce soit elle qui m’offre ce terroir, il lui va bien.

Une grande promenade sur les falaises vers le Cap Fréhel, une plus petite ballade vers le Fort Lallate , le soleil nous suit partout, nous prenons des couleurs en en voyant de toutes les couleurs. Elle me raconte tous ce qu’elle sait des lieux que nous visitons toujours dans sa volonté de partager, elle nous mitraille pour continuer la série “Mila&sand” à la plage, au lac, etc.
Retour lessivées de notre grande journée pour s’effondrer devant la fin d’Angélique que nous n’avions pas vue la veille.

Mercredi 30 avril :
La répétition se passe sans événement majeur, le nœud de derrière du harnais de bassin bloque encore comme la veille malgré qu’elle l’ait changé mais comme elle prévoit toujours une échappatoire, cela ne lui pose guère de souci.
Je me sens plus réactive à elle, le fait qu’elle ne voit rien change subtilement ses mouvements de passage de cordes et je la trouve encore plus émouvante ainsi. Elle repasse discrètement et avec rapidité sur les cordes du bout des doigts pour “voir” si aucune corde ne se chevauche, si elles sont au “bon” endroit.
J’aime cette méticulosité chez elle qui m’entoure d’attentions. Il y a une belle émotion à partager ses cordes en aveugle, comme si le sens manquant s’ajoutait à ce qui nous lie. Il y a un bel enthousiasme dans sa fierté à accomplir ses enchaînements les yeux bandés, elle a l’excitation d’une gamine qui se lance un défi et le réalise.
Elle commence à dire que finalement, elle n’aura besoin de personnes pour lui passer les cordes et ça appartient à cet auto-déterminisme que j’aime en elle.
Elle regarde les horaires de marées et nous voilà parties pour une longue sortie aux pieds de falaise, entre coquillages, falaises et mer. La vie coule doucement, les paysages sont saisissants et replacent à taille humaine.
La soirée s’efface doucement quand l’instantanéité du web la renvoie à Moscou, ses doigts pianotent et le verdict tombe Vlada, Raïssa et Falco reviendront de Munich avec nous pour un arrêt à Limoges.
L’impatience la transporte sur un nuage, elle enchaîne de nouveau, mille projets pour parfaire leur séjour, elle sourit, elle pétille. Je reconnais cette façon d’emplir le vide et de s’agiter pour oublier, je la laisse s’y absorber pour continuer d’exister, construire sa vie d’un jalon à l’autre, empiler les objectifs parce que de toute façon, il faut bien continuer d’avancer.
Mon miroir de moi-même, si proche, tellement semblable, toute l’indulgence que je n’ai pas pour moi, j’arrive à l’avoir pour elle.

Jeudi 1 mai :
La répétition se passe sans vrai souci, certains nœuds se bloquent encore mais même avec quelques imprévus, cela passe toujours au niveau du temps. Plus sûre d’elle-même à mesure de nos essais, elle se permet quelques fantaisies, s’amuse de moi, me laisse mariner dans l’inversée, juste parce qu’elle sait que je m’accroche à sa volonté et que si elle dit que je peux alors je pourrais.
J’aime sa façon d’avoir foi en moi, j’aime la façon dont elle me porte ainsi et tire le meilleur de moi-même au-delà de ce que j’aurais cru de moi.
Je me demande si je la porte autant dans ma confiance, qu’elle ne me porte dans la sienne. J’aime cette certitude entre nous, cette évidence qui nous joint dans les cordes.
Après avoir brillamment relevé le défi de trouver un tabac ouvert le 1° mai, nous partons à l’intérieur des terres pour découvrir une Bretagne plus rurale mais toujours aussi brute.
Difficile montée d’un sentier pour découvrir les restes d’anciennes carrières d’ardoise et tout en haut, sur la crête un alignement de dolmen en allée, je ne crois pas en avoir jamais vu un si bien conservé, seules dans ce nul part, nous jouons les touristes et elle nous bombarde de photos, la pluie nous hâte sur le chemin du retour sans vraiment réussir à nous mouiller.
Nous continuons avec les ruines d’une Abbaye incendiée, lieu fantasmagorique, on cherche presque le dragon qui a brûlé le bâtiment dans les fossés alentour, la visite du magasin de minéraux à proximité achève de nous convaincre de la magie des lieux. Pour terminer avec une petite promenade au bord du Lac de Guerledan d’où la pluie nous chassera finalement.
Elle prolonge la balade en enchaînant les détours, elle a mille choses à me montrer, chaque croisement est une nouvelle occasion de découvrir un nouveau site : Montcoutour (le bien nommé), les grèves et la plage une dernière fois.
Je n’arrive pas vraiment à penser au retour du lendemain, tout est si calme, si paisible, tellement loin de tout. Je crois qu’elle ne veut pas y penser non plus et prolonge la ballade comme pour nous gagner du temps.
La soirée se passe à préparer mes affaires pendant qu’elle travaille sur les photos qu’elle a faites pendant notre promenade.

Vendredi 2 mai :
Réveil tranquille, dernier coup d’œil à la marina et la petite voiture blanche m’emmène au point de rendez-vous avec ma co-voitureuse.
Mon premier co-voiturage familial, seule avec 3 générations de femmes d’une même famille, la Bretagne reste en surimpression des paysages du voyage.
Je sais que pendant que je rentre chez moi, elle va partir se faire bichonner chez une amie, je trouve ça bien, je suis contente que les gens prennent soin d’elle comme elle prend soin de nous.

Je sais que je la revois bientôt pour une de nos nouvelles aventures de folie, parcourir en voiture les kilomètres pour aller à Munich et en revenir sur le temps d’un week-end.
Drôle d’aventure où elle m’emmène encore et qui construit encore et toujours ce lien entre nous dans une dimension encore différente, j’aime qu’elle est décidé d’entrer ma vie.

 A ma pétillante, à ton sourire éclatant et à toutes les douleurs qu’il cache parce que finalement c’est sans doute ce qui nous lie, cet acharnement qui naît de la survie.

jeudi 10 avril 2014

Moscow Knot 2014

C’est une histoire qui se compte (conte ?) en mois.
Un soir d’hiver à quelques jours de Noël, un coup de fil du Portugal pour me proposer la plus dingue des aventures de cordes à laquelle je n’ai jamais été conviée.
L’engagement est simple, je lui réserve un week-end par mois pour s’apprendre mutuellement et elle, elle m’emmène à Moscou.
C’est une histoire de visa, de formalités, de co-voiturage, de panne de voiture, de tensions, de douleurs, d’efforts, de partage, d’échange et d’émotions.
C’est l’histoire d’une complicité naissante, celle qui naît de la vraie volonté de se connaître (reconnaître ?).

La première fois que nos vies se sont percutées, elle a clairement posé les choses et moi, je lui ai timidement demandé de me faire une petite place dans sa vie.
La place, elle me l’a donnée, dans sa détermination à “nous” faire une place.
Il y a une belle ironie à ce petit bout de femme serbe qui emmène une femme née à Alger avec le crâne à moitié rasé et des dreads orange dans la Russie stricte et homophobe de Poutine pour y donner une prestation BDSMment sensuelle de cordes.
Il y a une belle harmonie à ce que la vie nous ait placées sur le chemin l’une de l’autre : Elle avec ses failles cachées et moi avec ce trou béant dans le cœur.
Elle a poussé les choses autour d’elle pour me préparer un petit nid, elle m’a laissé le temps d’y prendre des marques, m’y a donné des repères pour m’orienter, m’a appris et permis de la lire.
Tout doucement, elle m’a laissé sortir de ma coquille, prendre confiance, apprendre de moi au travers de la confiance spontanée qu’elle m’offrait. Elle m’a porté avec sa douce assurance, cette certitude sereine et je n’existe ainsi que dans ses yeux.

Jeudi 10 avril. 
Elle m’arrive de Limoges à la maison pour la première fois, je lui montre mon petit monde comme elle m’a offert le sien. Le temps nous talonne comme tous le long de cette aventure, il est question de dormir une poignée d’heures.

Vendredi 11 avril. 

Réveil à 2h du matin, expédition sur Paris vers 3h pour une arrivée souhaitée à 5h30 à Charles-De-Gaulle. A partir de ce moment-là, la notion de temps qui passe ou d’horaires devient abstraite et s’évanouit dans le tourbillon du week-end.
Nous attendons l’enregistrement des bagages avec une première photo de la longue série de photos : Ludmilla & sand à ..., à l’aéroport, dans l’avion, en Russie, à l’hôtel, devant la neige, etc.
Sa tension palpable va s’évanouir au fur et à mesure qu’elle atteint ses objectifs.
Phase 1 : enregistrer les bagages sans excèdent de poids = accompli.
Le temps file, s’échappe, passage en douane moins impressionnant que prévu : pieds nus, sans ceinture, sac, électronique et vêtements sagement rangés dans des bacs séparés.
Nous voilà déjà dans le premier avion, nous tombons comme des souches pour se réveiller pour le transit via Varsovie (mon ¼ de sang polonais bouillonne toujours un peu quand j’effleure la Pologne, patrie du patriarche, cet arrière-grand père parti de Varsovie, justement).
Passage de douane stressant où la douanière décide que mon passeport est un faux, le retourne de tous les côtés, l’inspecte 100 fois à la loupe et semble se focaliser sur la photo.
Elle regarde la photo, elle me regarde, elle recommence en plissant les yeux et je comprends qu’elle ne me reconnaît pas, qu’elle pense que ce passeport n’est pas le mien.
Grand moment d’injustice, comment prouver que l’on est bien soi-même ?
Je retire le bandeau pudique qui me sert à cacher mon crâne rasé dans la vie normée et l’utilise pour tirer mes cheveux en arrière comme sur la photo réglementée de mon passeport.
Elle continue de me dévisager pour revenir sur le passeport, plisse encore les yeux, vérifie encore quelque chose avec sa loupe et finalement, décide enfin de me laisser passer.
Mila m’attend de l’autre côté, je crois qu’une fraction de seconde elle a cru que je ne passerais pas (ça sera mon tour plus tard dans le voyage). Foncer dans l’aéroport, trouver le point de transit, récupérer les cartes d’embarquement, chercher la porte d’embarquement, entendre un appel pour nos noms, courir dans le terminal, arriver essoufflées, s'engouffrer dans l’avion pour la dernière partie du voyage.
Descendre sur Moscou, discerner les restants de neige et de glace sur les plans d’eau, voir ces forêts, ce gigantisme de la ville, se poser, faire une queue interminable au contrôle des passeports, récupérer les valises et se faire arrêter par un type en civil pour un contrôle de nos bagages à la douane.
Voir la tête ahuri du gars qui sort les bouquins de mon sac et semble perplexe devant mon cahier de coloriage, entendre qu’ils ennuient Mila sur son passeport qui ne correspond pas au pays de son départ, l’entendre elle leur parler d’espace Shengen, d’Europe et de libre circulation, regarder les gars ouvrir sa valise, et en sortir les cordes de façon suspicieuse, les sentir devenir carrément inquiets face à la masse de mousquetons, écouter Mila leur expliquer les cordes, leur montrer des photos sur son portable et les inviter à la prestation, contempler les gars se décomposer à mesure qu’ils comprennent et finalement se faire presque dégager de la douane à coup de pieds si vite qu’ils en oublient de fouiller ma propre valise.
Galérer dans l’aéroport pour trouver notre point de rendez-vous, tenter de rouler une clope avec mon tabac à rouler me faire prendre la tête par un abruti qui pense que c’est un joint, avoir envie de lui rentrer dans le cul en lui répondant avec toute ma hargne “Tobacco !”
Se presser encore et finalement arriver dans un 4x4 où nous attendent déjà Nawashi Kanna & Kagu Ra.
Prendre la route vers Moscou dans ce début de printemps où la nature s’éveille à peine, encore grisée du sel de l’hiver et des neiges fondues. Retrouver le gigantisme de l’Est, dans tous ces contrastes, dans tous ces excès.

Se voir proposer un repas avant d’aller à l'hôtel, finir sur la marina de Moscou, prendre un délicat repas sur les bords du fleuve dans un soleil éclatant en découvrant les spécialités locales livrés aux soins d’un serveur d’une prévenance stupéfiante.
Fumer (enfin) sans que personne ne vienne me parler de “haschich”.
Simplement se poser et atterrir en terre moscovite.

Repartir vers l'hôtel pour y arriver 10 minutes avant l’heure d’aller au club, se jeter sous la douche et en sortir en un temps record. Aller au le club et enfin pouvoir ralentir un peu le rythme.
S’installer, profiter des spectacles, découvrir les gens. Passer une belle soirée dans la douceur d’un cocon sécurisant partageant les mêmes valeurs, les mêmes références, regarder les cordes des autres, parler des cordes avec les autres, échanger, partager.
Apprécier la très belle diversité des prestations proposées, se gorger de la diversité des interprétations des cordes, trouver les cordes et les gens Beaux.
Partir pour la Place Rouge au milieu de la nuit dans un minibus bondé avec des musiques de discothèque à fond, recevoir des cadeaux des organisateurs, partager encore des sourires, des rires, découvrir la ville derrière les vitres du minibus, l’animation perpétuelle d’une mégalopole qui ne dort jamais, reconnaître certains logos que la mondialisation rend universels au milieu de l’architecture soviétique, profiter de la ville de nuit.
Se garer, descendre du bus, suivre le mouvement sans bien savoir quoi et où, déboucher sur la Place Rouge, sentir le souffle se couper devant la force du spectacle, s’emplir les yeux de merveilleux, avancer vers la place en entendant des chansons traditionnelles russes, prendre des photos, rire encore, partager toujours.
Retourner au club, prendre un peu de temps et rentrer à l'hôtel après près de 20h de veille, s’endormir en étant déjà samedi.

 Samedi 12 avril.
S’éveiller avec paresse pour aller prendre le très frugal petit déjeuner, se mettre TB3 en fond sonore, se régaler de veilles séries russes, chahuter en se chatouillant, se décider à trouver change et tabac, se faire expliquer le chemin par la réceptionniste, se promener dans le quartier, toucher le quotidien de la Russie moderne, prendre le temps de respirer calmement dans une ville différente et si riche de contradictions.
Rentrer à l'hôtel, préparer les affaires pour le show et retourner au club pour les tables rondes, passer un moment à échanger tous ensemble à partager et confronter nos visions des cordes, jouer à se libérer l’esprit en maintenant en équilibre des brindilles entre elles, assister à un merveilleux moment d’échange, scruter les sourires naître sur les lèvres des participants, apprécier l’offrande de la générosité d’un partage simple et tangible.
Parler cordes avec un sociologue japonais, fouiller en soi pour trouver des réponses à des questions que l’on ne s’est jamais posé, retracer le chemin de la contrainte en moi, y lire celui des cordes.
Être de nouveau rattrapées par le temps, courir, manger rapidement, faire un saut à l'hôtel reprendre les affaire et revenir pour le début des démonstrations.
Sentir sa tension monter, la voir s’agiter et régler les derniers détails de lumière, de musique, de placement du point de suspension, la laisser oublier le stress par sa volonté de gestion, lui sourire avec calme quand elle me parle de couettes que j’ai pourtant déjà faites.
Regarder un dernier show et commencer à m’échauffer consciencieusement une heure avant comme elle le souhaite.
Travailler mon dos de “vieille femme” parce que c’est toujours lui qui me fait souffrir dans les inversées, boire des quantités folles d’eau pour noyer d’éventuelles crampes, changer de vêtements, mettre mes rubans, retoucher le maquillage, aller pisser cent fois pour toute l’eau bue, chasser le trac qui monte au loin, lui sourire, oublier la foule et se concentrer sur soi.
Prendre ses affaires, les déposer dans la loge, se placer derrière le rideau et attendre le feu vert, monter sur scène accrochée à sa main, se centrer sur elle, sur cette main, oublier les spots, ne pas se troubler du petit brouhaha de la foule, ne pas écouter les déclencheurs des appareils, se focaliser à ne même plus entendre la musique.

Sentir ses mains se poser, les cordes commencer à voler, ressentir avec douleur l’intensité de sa tension, vouloir lui faire passer mon calme, tendre un doigt vers elle dans la mise en place du TK pour la frôler d’un petit geste rassurant, se laisser guider et finalement décoller du sol au moment précis où elle atterrit de son propre stress.
S’amuser de nos paradoxes qui font que quand je décolle, elle peut enfin se poser.
Sentir la lame sur ma peau quand elle déchire la robe, sentir l’énergie de ses gestes avec une sorte de prescience. Suivre les mouvements, reconnaître un enchaînement pourtant répété qu’une seule fois, me bercer de ses cordes, me bercer de sa présence omnipotente, m'inonder d’elle, m’immerger en elle. Voyager à son gré, devenir sa poupée, me noyer de sa concentration, la sentir aussi focalisée sur moi que je le suis sur elle.
Tourner dans les cordes, sentir les milles façons dont elle s’amuse de moi, la deviner si proche et tellement concentrée, prendre consistance par la violence de son dynamisme. Discerner sa main ferme déchirer mon string comme nous en avions vaguement parlé le matin, la surprendre à me caresser, mordiller, titiller au gré d’un rythme que je n’entends pas.
Entendre et sentir les mousquetons se placer en lisière de moi, à la fois loin, à la fois proche. Un dernier mousqueton sur mon plexus, je sais qu’elle va me redresser, décrocher encore une fois, perdre la notion du temps ou du lieu, sentir qu’elle place de nouvelles cordes et prépare une quatrième position qui n’était pas dans notre seule répétition de cet enchaînement, avoir une sensation de constat étonné en sourdine de moi et ne pas s’y attarder, la laisser me guider, parce qu’Elle sait.
Sentir les tensions de cordes s’échapper, deviner confusément que les choses vont s’arrêter, essayer d’entendre la musique sans vraiment la reconnaître, toucher le sol dans une sorte de réflexe, la sentir m’agenouiller, éprouver les cordes s’évanouir, me recomposer, ressaisir la réalité tout en restant noyée d’Elle.
Se trouver au moment de saluer, faire les gestes qu’elle m’a expliqué un peu plus tôt dans la soirée, rester dans la focalisation pour sortir de scène, l’aider à ramasser ses cordes, lui faire face et tomber dans ses bras avec une nécessité vitale, resaluer le public qui relance les applaudissements, quitter la scène, la voir submergée par son effort, sourire avec son regard pétillant de champagne, tomber encore dans ses bras et se laisser débordées par l’intensité du moment, pleurer calmement en partageant nos larmes comme nous partageons les cordes, avoir besoin régulièrement de revenir l’une vers l’autre, de se toucher, de maintenir le contact, de prolonger l’instant.
Terminer de ranger et décider d’avoir bien mérité de fumer, s’installer sur un canapé, rester lovées l’une contre l’autre, écouter vaguement les gens qui viennent parler, qui veulent échanger et qui sont pourtant si loin, sourire, et toujours revenir vers elle, pour un geste tendre, pour un échange de regard, pour garder la tangibilité de notre échange.
Enfin réussir à se décoller un peu l’une de l’autre pour reprendre une sociabilité normale, retrouver les autres, échanger, partager, discuter, profiter du moment présent dans toute son authenticité.
Voir encore le temps s’échapper, retourner à l'hôtel pour une micro-nuit.

 Dimanche 13 avril. 
S’éveiller pour le si triste petit déjeuner, se préparer, refaire les valises, manger, trouver le taxi, se faire aider par une charmante Sacha, rouler vers la gare, prendre les billets avec l’aide d’un agent de sécurité prévenant, attendre le train, monter dans le train, descendre à l’aéroport, se faire encore démonter une valise à la douane, enregistrer les bagages, faire le contrôle des passeports, courir dans le duty free pour lâcher les derniers roubles et manger, monter dans le premier avion,

être rattrapées par le sommeil, faire le transit en Pologne, passer la rigide douane de l’espace Shengen pieds nus, en avoir marre de retirer ses chaussures à chaque contrôle, trouver l’espace fumeur, enchaîner avec l’embarquement, prendre un énorme coup de stress quand elle restera bloquée de longues minutes sur un bug informatique avant de pouvoir monter dans l’avion, comater pendant le vol, arriver à Paris,

ressortir pratiquement au même endroit que nous avions embarqué le vendredi, refaire le chemin en sens inverse, récupérer les valises et finir de détricoter notre voyage en ressortant exactement par la même porte que celle par laquelle nous étions entrées, moins de 72 heures après.
Retrouver Fab, monter dans la voiture, essayer de raconter avec les idées qui rebondissent dans tous les sens avec la fatigue, enchaîner le chemin retour, la faire manger vite-fait pour qu’elle puisse terminer la fin de son périple de retour.
Voir sa petite voiture blanche partir dans la nuit, une dernière main tendue, des warning qui s’allument et la voilà disparue.

Je n’ai pas une seule marque sur moi, juste le ressenti de sa force, le parfum de sa présence autour de moi, les milles mots de remerciements mutuels que nous ne cessons d’échanger et savoir qu’elle m’a belle et bien fait une place.

Écrire ses mots en pleurant doucement, de fatigue, d’émotions sur la force de ce qui s’est construit entre nous au long de cette aventure, ressentir une infinie gratitude et savoir qu’elle est partagée. Savoir que dans un coin de mon cœur restera à jamais un endroit spécial noyé par la douceur et la confiance dont elle m’entoure.
Revoir milles images défilées devant mes yeux, toutes ponctuées du sourire pétillant de sa générosité.
Trouver un premier mail d’ami qui demande : “comment ça s’est passé ?”.
Répondre que je ne connais pas de mots pour raconter mon week-end, se faire répondre qu’il faut en inventer et choisir de lui écrire que le week-end fut : Ludmilesque.

 A ma merveilleuse, la plus pétillante des femmes, mon unique champagne serbe.
Parce qu’aucun mot ne sera jamais à la hauteur de la force de ce que tu me donnes.

Crédits :
cordes : Ludmila Metresa/Ropes
photos : http://jazzlover.ru - http://darkside.ru/