dimanche 20 mai 2012

Bondage Jam

Ça se décide sur un coup de tête au milieu de mille quiproquos. Mais vu que l’organisation vient d’A.S. et qu’il a largement parlé de « Bondage Jam » au débriefe de la FIP, je suis confiante. Évidement l’annonce de la présence de M. brouille un peu mes cartes, j’ai horreur de cette sensation de bête traquée que ce genre de type me donne. Abusant de ma bonne éducation pour profiter du fait que je ne leur mets pas directement mon poing dans la tronche quand c’est sans doute ce que je ferais dans n’importe quel autre contexte.
Et c’est dans ces cas­-là, que je déteste le protocole bdsm.

J’arrive rue Lechapelais sans vraiment avoir besoin de chercher. Sauf que le numéro 6 n’est pas en face de la salle comme je pensais. Même si c’est bien un des porches où je vois des centaines de types aller pisser à chaque soirée aux caves. Je finis mon joint et laisse passer un petit bonhomme devant moi. J’entre dans la salle : visages familiers : G., A., J., A.S., N., R., F. et sa copine, M., donc.
M. qui se la joue grossier, genre je n’avais même pas vu mais qui m’offrira quand même du vin après. N. qui manque de s’étrangler...
Je me pose sur un canapé avec un de chaque côté et je me dis que la soirée part du pire qu’elle pouvait partir...

 Un flottement quelques paroles, et A.S. me fait un geste péremptoire comme il sait le faire. En s’avançant vers moi avec une corde à la main. Il attrape et tire mes bras en arrière sans ménagement. Fidèle à lui-­même... Son jeu de cordes passe par mes épaules, il sert, je sens les cordes mordre là où il me reste quelques vagues traces. Puis il m’emmène à l’autre bout de la salle pour prendre d’autres cordes, toujours à sa manière de me télécommander dans les mouvements que j’adore. Et en lançant à la cantonade manifestement aussi surprise que moi : « ben quoi, on est là pour attacher ! ». M. arrive, à ce moment, son visage se ferme de suite malgré le sourire forcé qu’elle affiche. On se salue mais ça n’est pas ça. A.S. continue son jeu, attrape des cordes et me jette au sol.
Moment de grâce où nos regards se croisent, lui qui me téléguide avec les cordes et moi dans ma délicieuse panique, un sourire instantané qui prouve aux deux la complicité du jeu, quelque chose de tangible. Elle revient lui parler, je saisis mal dans mes vagues de cordes mais l’idée est de dire que ce qu’elle voit la rassure et A.S. de répondre un truc genre « tu vois bien ». Et je me demande si j’ai bien compris et si c’est bien le cas, c’est peut­-être à moi de lui écrire pour pacifier la situation, au moins pour A.S. Lui expliquer qu’il n’y a que Lui qui se permet une telle familiarité avec moi, qu’il m’attache depuis 2 ans et qu’il a une sorte de respect mutuel dépourvu de toute ambiguïté dans ce jeu que je n’ai avec personne d’autre. Bizarrement à un moment, A.S. place quelque chose sous ma tête... Il ne fait jamais ça, ça m’étonne... Je me demande quel élément extérieur a bien pu lui amener un geste tellement incongru. Et je me laisse à profiter de mes cordes, les muscles qui se bandent et détaillent le dessin des cordes sur soi, mon cocon de spirale. Il me manipule en me tirant par les cheveux et je ressens presque physiquement la violence qui peut se dégager de nos jeux pour les autres.
 Bizarrement à un autre moment, il est question d’envoyer un sms à Fab, drôle d’idée... Comment j’enverrais un sms avec les mains dans le dos et les jambes dans une sorte de hogtie... Finalement, les cordes tombent rapidement et malgré le « tu vois bien », il y a manifestement encore des choses à faire voir... Je me retrouve sur la touche avec des belles marques qui me donneraient envie de ronronner sur A.S..

G. apprend à passer des cordes sous la direction de R., si je connaissais le nom de mes figures, je saurais reconnaître ce qu’elle fait avant même qu’elle explique à la modèle que c’est une figure de base pour la suspension. Elle finit son premier passage de cordes et il est très critique. Il suggère qu’elle recommence « en aveugle ». Elle se rebiffe une fraction de seconde et prend le bandeau qu’il lui donne. Il lui passe sur les yeux, elle laisse échapper un petit geste d’agacement en plaçant correctement son oreille et recommence l’exercice.
Je n’aurais jamais pensé à ce genre d’exercice : passer des cordes en aveugle. Mais elle y gagne énormément. Une ampleur ronde et douce dans les mouvements, une précision plus exacte dans le placement et surtout une sur-­attention à son modèle qu’elle n’avait pas quand elle voyait les cordes qui focalisaient son attention. Elle termine de placer ses cordes, et il lui frotte les cheveux dans un geste d’affection où sa fierté est lisible.

 A.S. passe me désigner 2 ou 3 personnes en précisant que c’est des attacheurs sans modèle. Je vais me présenter et dis que je vais fumer et qu’après si un de ces messieurs... On me répond avec des oui très évasifs... Et je me pose dans un coin à regarder les différents jeux de cordes, je compte mes minutes et le temps s’étire.

 A un moment, A. me fait un signe de venir rejoindre leur petit groupe. Et il me propose de m’attacher... L’homme aux cordes noires : bien sûr ! Un flottement où il me parle de lui faire confiance, que c’est seulement si je veux moi. Et je me demande comment il ne voit pas une telle évidence...
 Il me touche un peu comme N. sans que ça soit exactement pareil. Mais je devine que c’est aussi sa façon de prendre contact. Il me parle de mon dos... No comment, résumer ça en quelques phrases...
J’élude et parle d’accidents de voiture, de hernie discale... C’est pas vraiment important, personne ne m’a jamais fait mal au dos avec des cordes sauf l’homme qui porte les femmes à bout à de bras.
 Une fille me demande de répéter ce que je disais alors que je parlais à A., elle m’agace à venir dans ma bulle et je prends vraiment sur moi. Il prend mes mains sur le devant et les joints sur mon buste dans un geste très sage comme un signe de prière. Et continue en passant sur les épaules. Je me demande si c’est un « turn on » pour tout le monde, les cordes sur les bras, si chaque modèle a sa propre induction et si il y a des « grandes règles ».
 Quelle douceur dans ses gestes... C’est toujours une découverte, une nouvelle rencontre, que de lire quelqu’un dans ses cordes. Il a des mouvements amples qui me font penser à ceux qu’avait G. juste avant et en même temps une douceur que je n’arrive pas à définir.
Il y a comme un calme serein dans sa manière de poser les cordes. C’est même une des premières choses qu’il me dit : « Tu peux dormir dans mes cordes . » Mais rien que l’idée me pétrifie... Déjà que je trouve que je décroche trop vite sans respect pour le travail de l’attacheur mais m’endormir... Je crois que j’en suffoquerais de honte si ça devait m’arriver...
 Son jeu de corde me berce plus tranquillement que N., on ne sent pas le rush de stress/speed derrière, c’est peut­-être juste mieux maîtrisé, qu’importe. Mais ça n’interfère pas.
J’entends de la musique que je n’avais pas entendu avant et elle est douce, comme ses mouvements, un moment, je me demande si il se calque sur le son tellement, il me semble que ces mouvements forme un tout avec la musique.
 Les vagues des cordes m’emportent, je suis le rythme sûr et calme de ses mouvements, leur amplitude leur donne une certitude qui me parle. Il ne sert pas trop ses cordes mais il pousse les mouvements et ça me va aussi bien, du moment que je ressens la contrainte... Les vagues cessent rapidement de me ramener à la réalité. L’esprit prend son ampleur et se focalise sur L’instant.
J’aime sa manière de m’emmener, j’aime la précaution qu’il y a dans ses mouvements, dans sa manière d’anticiper mes propres mouvements. De caler mon pied entre ses jambes – cela me fait penser à G. en train de mordre la corde pour la tendre en repassant les mains sur les cordes pour retirer les plis.
Faire passer le jeu de cordes par autre chose que les mains lui donne un aspect plus global/entier qui me touche. Une sorte d’investissement total dans le jeu de cordes qui répond au mien.
Il pousse mes mouvements, me déplace avec précaution, et forme une vrai bulle autour de moi, le monde s’efface, la seule chose qui existe se sont ses mouvements doux qui m’entourent et dont je ressens l’existence sur moi avec les cordes.
Parfois, les cordes tombent et j’espère toujours qu’il ne s’agit pas de la fin du jeu et il me remmène dans un autre ailleurs où la chaleur qu’il dégage est centrale.
 Et finalement sans avoir une conscience bien précise des choses, sans savoir si j’ai su rendre ce qui m’avait été donné. Les cordes tombent et je sens bien que c’est leur dernier passage. Le froid réflexe de la fin des cordes commencent à me gagner. Mais les mouvements restent si doux, si précautionneux qu’ils amortissent ma chute.
Jamais, on ne m’a laissé le temps de revenir comme ça...
 Finalement, la dernière corde et le bandeau. La lumière, les yeux qui s’acclimatent, le monde qui reprend une vérité, les gens qui sont toujours là et qui percutent ma bulle de doux.

 Je rebondis sur le speed d’après les cordes pour me lever, cela l’étonne. J’explique que si je ne profite pas de ces petites minutes de speed après les cordes pour rebondir autant allé me coucher. Physiologie particulière...
 A. propose une cigarette, j’accepte et il revient avec du feu et deux cigarettes...
Même sans cordes, il est tout en attention...
Il pleut des cordes, j’ai froid, je fume vite, j’ai un train qui me talonne et pourtant je resterais bien plus longtemps mais si je me laisse 2 minutes, je me condamne à rater mon train...
Je pars comme une voleuse.

 Sortir sous la pluie, courir dans les rues de Paris, s’emboucher dans le métro, regarder les indications horaires, calculer le temps de métro, croiser les doigts.
Monter dans le métro en continuant de calculer les probabilités d’avoir le train, sauter du métro, courir dans la gare déserte et monter dans le train, 2 minutes avant le départ...
 Je savais bien que je n’avais pas le temps pour ces 2 minutes-­là...