lundi 11 novembre 2013

Place des cordes #3

L’homme aux cordes noires… relire l’histoire de la première rencontre, se dire que l’exact de Lui était déjà là… choisir Damny dans le mp3 parce que c’est à Lui qu’on veut attacher ces mélopées de sensualité douloureuse, parce que ce son Lui va.

Ecrire trois phrases et déjà voir l’écran se brouiller par l’émotion. Respirer calmement, laisser les idées se poser sur le rythme de la musique.

Jam bondage party et journée d’anniversaire sont des choses qui n’arrivent pas si souvent.
Idiot de ne pas en profiter d’autant qu’à mesure que la liste des présents s’allonge de belles retrouvailles s’annoncent dont l’homme aux cordes noires qui m’a promis une danse.
Arriver pile à 19h, la salle est déjà comble… Se trouver une place, avaler ce qui doit servir de dîner, saluer les têtes connues et commencer un premier petit jeu parce que de toute façon, le temps nous talonne…
Fab m’attache à moi-même puisque le lieu est plutôt dépouillé de mobilier. Il le fait rarement sauf aux Jam de bondage en fait. Je me berce doucement de son jeu de cordes, de ses fantaisies quand d’un coup, c’est comme une sorte de “reflux” net, j’ai froid avant même qu’il ait fini de retirer les cordes qu’il ôte à une vitesse incroyable. Je ne comprends pas, il m’expliquera après, son coup de pression perso.
Je me rassemble doucement et plutôt mollement avec la sensation d’avoir largement le temps devant moi.
Quand, l’homme aux cordes noires surgit du néant avec son éternel sourire pour se rappeler à mon carnet de bal. Je demande une petite pause et essaye de lui rendre ce sourire dont il m’inonde.

 Fumer une clope ou deux, aller rejoindre l’homme aux cordes noires, attendre une place qu’il a choisi et se retrouver face à lui dans le même lieu que la première fois. Je tends mon épaule comme souvent depuis ma luxation, il me répond que ça l’arrange par rapport à ce qu’il a prévu. Il me touche à prévoir des cordes pour moi, j’aimerais ronronner.
Il prend contact avec moi, je n’ai plus l’habitude de cela depuis que N. ne m’attache plus, cela m’étonne et parle déjà tellement de lui. Il m’explique le sens symbolique qu’il place dans notre rencontre de ce soir, m’explique que N. l’estime en fin de formation alors que quand je l’avais rencontré c’était au tout début. Il me touche encore dans ses mots hésitants mais tellement communiquant. Il prend mes mains sur le devant, les joints et les amène à se placer sur le côté opposé de mon épaule abîmée.
Deux choses font jour clairement dans ses mouvements en quelques secondes, il me manipule via les cordes comme un marionnettiste, ça donne comme une sorte de maturité à son jeu de cordes, il a “vraiment” grandi comme il me le disait en préambule. Et il va me suspendre ou me demi-suspendre, sur le moment, je ne pense pas que c’est ce qu’il essayait de me laisser deviner en parlant de cycle mais en écrivant ces mots c’est une évidence qui me frappe.
Connaissant la place de la suspension dans la vision de N., d’autant plus. En fait, sur le moment quand il me parlait de boucler la boucle, j’ai surtout cru qu’il me disait que c’était la dernière fois qu’il m’attachait... Mais tout cela est vite loin, en quelques tours de cordes, il passe sur mes épaules. J’essaye de me souvenir quand j’ai fermé les yeux et je ressens sa présence derrière moi, il dit une phrase et sort un bandeau qu’il place sur mes yeux. Je sais que j’ai adoré son mouvement pour sortir le bandeau, un peu comme celui d’un magicien. J’aime bien que mon encordeur soit ce magicien capable de recoudre en une corde infinie tous ces petits bouts de cordes.
La suite n’a plus de véritable logique, un creux terrible dans le ventre, le souffle qui se coupe, de la brume dans les yeux quand il faut fouiller les souvenirs et l’évidence d’une grande violence dans le ressenti.

Deux personnes sont venues me parler après nous avoir vus avec ses cordes, à me parler de “très beau moment”. Je me demande si “on” lui a aussi parlé de “beau moment”. J’ai vaguement la sensation d’être volée dans ce moment quand moi je ne sais pas/plus comment les cordes se sont vraiment placées, quand moi, je ne l’ai pas vu lui, juste ressenti avec violence. J’aimerais voler l’image qui s’imprime dans leur esprit quand ils me parlent de “beau moment” pour la placer à côté de celle que je garde de son regard à lui, après les cordes.

Je sens les cordes se placer sur moi, la corde infinie se tisser, ses mouvements d’une douceur infinie qui m’emportent, me déportent. Il ne force plus les mouvements comme la première fois et ses cordes sont aussi légères qu’un cocon, je n’ai pas souvenir de les avoir vraiment éprouvées. L'essentiel se centre sur sa présence, omni-présente, obsédante. Les cordes ne sont qu’un juste et logique prolongement de lui-même, un outil mais le centre de tout n’appartient qu’à lui. Il devient central et les cordes accessoires, le rapport de logique s’inverse. J’entends la voix d’I. me raconter sa première fois avec B., elle disait “maintenir le contact”, le terme se calque à la situation dans l’esprit et là, aussi, je devine qu’il va mûrir maintenant qu’il a gagné sa liberté.
Les caresses des cordes se confondent avec les siennes, sa sensualité bouleverse, bouscule, bascule. Les vagues de cordes deviennent vagues de lui, se mêlent, s'entrelacent. Sa chaleur me traverse, son intensité me plie, sa douceur se lit en précautions et me ravage le cœur.
Il joue des positions, il joue de la suspension, il joue du temps.
Rien n’a d’autres sens que ce Lui qui passe dans ses cordes.
Une caresse, un frôlement, une légère tension qui me place dans d’autres positions, la chaleur globale d’une personne qui passe par tout ce qu’elle est.
Déroutant.
 A un moment, je sens que les tensions se relâchent, je devine dans la brume de mes idées que c’est la fin. Je crois que j’ai envie de pleurer quand l’idée se fait plus précise dans mon esprit. Et à mesure qu’il me ramène avec toute l’attention qu’il sait offrir, le cœur se tord et la seule idée claire qui s’impose est qu’il est douloureux de retirer ses cordes.
Il amortit le monde, il amortit le temps, comme si cet homme voulait qu’on ne soit pas blessée quand on l’est déjà par les cordes qui s’ôtent. Il est derrière moi, le monde est à la lisière de moi-même dans une sourdine de plus en plus présente.

Il place des cordes, ses cordes (qui ne sont pas noires ce soir-là) dans mes mains.
Sa voix me dit :
“Elles existent en partie grâce à toi”.
Sur le moment, cette phrase n’a que la douloureuse intensité de sa voix mais en prenant le recul nécessaire de ces reports, cette phrase est sans doute son plus beau cadeau, ce soir-là.
Finalement, on se fait de nouveau face, le regard est un peu fuyant et ce qui j’y lis m’arrache à moi-même.
Reprendre contact avec la réalité, retrouver nos peaux imparfaites d’humains quand les cordes faisaient de nous une pure essence, se démerder de ça pour retrouver pied dans la réalité dans les volutes de la fumée.
Affronter les mots des témoins qui veulent témoigner, les laisser parler pour les soulager et savoir que de toute façon ils n’ont vu qu’avec leur yeux quand tout se passait au-delà.

 Se souvenir du dernier instant : Me pencher vers lui pour l’embrasser avec un naturel que je m’ignorais comprendre l’impair et s’échouer sur une joue, lui dire : “de toute façon, je t’écris.” S’entendre répondre : “t’es pas obligée”, décider de le prendre comme une forme de politesse chevaleresque plutôt que comme une marque d’indifférence.
Et lui dire que si, c’est obligé !

Les EMC, ces voyages de l’esprit que nous offre les cordes parlent de nous, parlent à nous, parlent pour nous.
Ces moments sont le centre de ce que je suis, ma quête sans fin et pour vraiment les vivre, les ressentir pleinement je dois les écrire, pour moi d’abord et pour les autres parfois.

A celui qui restera à jamais l’homme aux cordes noires.