samedi 18 décembre 2010

FIP 41

Drôle de soirée qui s'annonce. N. a prévenu depuis des lustres qu'il ne serait pas là et JP fête son anniversaire, autant dire que, outre le plaisir de voir l'équipe (et encore V. est notée absente), j'aimerais être partout sauf là ce soir-là, enfin partout... à Bordeaux surtout.
Et puis surprise le vendredi soir, je trouve un mail de JD qui se propose de venir le lendemain à la FIP comme nous en avions parlé lors de notre première rencontre.
Je me dis que j'aurais au moins un jeu de cordes ce soir-là et c'est presque un soulagement, j'ai encore tellement de questions en moi sur le sujet et je me rappelle combien j'avais apprécié sa pédagogie.
La météo annonce l'apocalypse ou quelque chose d'approchant, l'installation de la soirée est laborieuse et le chauffage faiblard, ça part dans une ambiance stressé dont je m'échappe en m'accrochant à mes espoirs de nœuds.
Je préviens C. à la porte mais quand 22 h s'affiche, je pars me changer avec un sérieux bémol.
Quand je ressors avec ma "tenue de noël", le photographe de l'expo me lance un regard qui résonne comme un sifflement dans mon esprit et j'ai juste envie d'aller me cacher. C'est presque à ce moment-là que JD arrive, il regarde comment il peut se placer dans la salle - et je me félicite qu'on revoit la scénographie de la salle pour janvier, parce qu'avec les shows ça devient vite compliqué de trouver de la place à tout le monde, alors que la salle est grande...
Finalement, il s'installe aux mêmes endroits que d'habitude parce qu'en l'état, il n'y en pas d'autres.

H. annonce l'ouverture quand JD est encore sur l'escabeau, ça devient tendu, je vois bien H. retenir des paroles virulentes sous la pression mais le simple fait que les mots ne franchissent pas ses lèvres en dit long sur l'expression que doit lui renvoyer mon visage : quelque chose comme "touche pas à mes jeux de cordes".
Finalement, JC, G-Ro et JD testent les points de suspensions et je pars ranger l'escabeau dans le noir avec la flotte qui tombe du plafond...
Je remonte l'esprit un peu ailleurs, comme un début de soirée, quand tout est lancé, un espèce de petit blanc mental de soulagement. J'arrive en haut de l'escalier, je vois JD et installé par terre pour sortir son matériel, il y a N.
Minute d'incrédulité, butée de l'esprit sur sa propre conviction - N. avait dit qu'il ne viendrait pas - et la réalité de ce qu'il perçoit - N. est là. Dix mille pensées se bousculent lors de la fraction de seconde qui remet les processus mentaux en route, dont la première est d'être ennuyée de n'avoir plus de place vraiment adéquate à N. J'essaye d'être prévenante au mieux et encore une fois, je regrette V., gérer la vidéo, les verres vides, les mégots et être attentive avec les encordeurs présents, ça va m'occuper toute la soirée.

N. me propose un premier jeu de nœuds, toujours cette même façon de "prendre contact", une sorte d'effleurement de soi en face à face.
Une remarque sur mes mains, une question sur mon dos, je parle du faux mouvement qui me tétanise le trapèze depuis 3 jours, il me retourne et commence à palper mon dos.
Sa voix me glisse à l'oreille : "tu me fais, un petit peu confiance ?".
Mon être lâche un assentiment révolté par le restrictif "un petit peu" tout en s'étonnant de la question et il m'enserre dans ses bras en me décollant du sol. Je sens les clacs nets de 3 vertèbres dorsales qui se remettent en place. Je n'ai plus vu d'ostéopathe depuis au moins 15 ans mais je reconnaîtrais entre mille, ce soulagement instantané.
Et lui de lâcher un tranquille : "ça, c'est fait !" alors que ça fait bien 8 ans que je me plains de ces vertèbres.
J'en suis encore stupéfiante qu'il me passe déjà ses cordes. J'ai l'impression qu'elles sont plus petites que la dernière fois, je lui fais la remarque et il se moque de moi en me disant qu'elles s'usent.
Y. passe et commence à me parler, je trouve l'attitude irrespectueuse pour N. qui m'attache pendant ce temps-là et abrège la chose à la politesse élémentaire tout en complimentant la magnifique tenue de S.L., qui ne manque pas de se matérialiser devant moi pour cueillir elle-même le compliment. Fît de mondanité, me voilà enfin rendue aux cordes.
Je retrouve cette sensation de cocon propre aux passages de cordes de N. dans mon esprit.
Mes yeux se ferment seuls mais le placement dans la salle à côté d'un point de passage, crée une proximité avec la réalité qui la rend présente par vagues. Le son est différent, plus fort, trop présent, la foule aussi dont je ressens presque les mouvements autour de moi et dont j'entends les éclats de voix. N. me met un bandeau et malgré toutes les revendications du "bondage moderne" que j'ai pu lire ces derniers temps sur cet accessoire, je pressens qu'il visait plus à me préserver de ces échos extérieurs qu'autre chose.
Je dérive doucement dans les cordes, je ressens sa proximité et surtout à un moment, je ressens son absence. Un espèce de creux au ventre injustifié quand je sais qu'il ne doit jamais me quitter des yeux bien longtemps dans ces moments-là mais toujours une vague sensation de "manque".
Puis de nouveau, je ressens sa présence, l'abandon reflue et m'emporte, la réalité s'efface et je perds comme conscience de moi-même.
Et soudain, c'est comme si je me retrouvais en équilibre sur une jambe d'un coup. L'esprit perd pied, la sensation me rappelle vaguement celle de la narcose à l'azote, cet instant où le cerveau part en roue libre sans plus trouver ni d'envers, ni d'endroit à la réalité - et encore dans l'eau, il suffit de suivre les bulles pour s'y retrouver.
Finalement, j'entends la voix de N. comme un couperet : "dur l'équilibre, c'est pas pour toi, ça".
Cela me fait l'effet d'une sentence irrévocable, je voudrais plaider ma cause, dire que j'étais trop perdue en moi-même pour savoir trouver mon équilibre les yeux bandés mais c'est trop tard, les liens s'en vont.
Il me regarde dans les yeux et me dit que ça n'est pas grave.
Non, c'est pas grave mais je me sens nulle quand même...
Puis je me laisse le temps de me poser dans la réalité, c'est ma nouvelle résolution de cordes depuis mes discussions via mail avec SL : arrêter de voler mes instants de cordes et les vivre tranquillement sans culpabilité.

La soirée se poursuit, je sors fumer et j'y croise parfois, N. avec qui on échange quelques phrases.
Il réclame mes mots, c'est tellement inhabituel et tellement adéquate au moment où il est question de rééditer les bouquins en février.
J'ai l'impression qu'il y a des cordes partout à la FIP ce soir, je mange avec mes yeux.
Même A. est passé avec sa nouvelle partenaire et ses cordes.
La soirée est à l'exact opposé de ce qu'elle s'annonçait et ça me va très bien.
Je croise F. qui s'étonne que je ne sois pas dans des cordes et je rougirais presque de l'aveu que constitue sa remarque si je ne lui pardonnais pas tout depuis qu'il a pris La photo.

 Et alors, que la soirée me semble tirer sur sa fin, JD vient me proposer un jeu de cordes.
Il propose une suspension et je me dis que j'en profiterais sûrement mieux que dans un corset en latex comme la dernière fois. Il me place les mains dans le dos comme la première fois, je retrouve aussi avec une certaine familiarité sa façon de passer les cordes, comme une dessinant le passage des cordes avant et cette façon de passer son doigt pour déplisser la peau.
Il y a quelque chose de très attentionné dans sa façon de faire, de réconfortant en fait.
Évidement, je décroche à vitesse grand V avec "ma" combinaison gagnante : mains entravées + cordes sur les bras.
Je dois me faire violence pour conserver un minimum de réceptivité à l'extérieur pour essayer de faciliter ses passages de cordes ou garder mon équilibre pour la suspension proprement dite. J'ai la sensation qu'il a tissé une toile d'araignée sur mon buste et j'en ressens encore la pression juste au-dessus du sternum au moment de coucher ses mots.
Enfin, il m'arrache à la gravité et mes jambes sont liées dans une position équivalente à la dernière fois, qui me permet aisément de retrouver des repères familiers et les mouvements qu'il m'avait expliqué. Cette fois, pas de jupe en latex pour contrarier la mise en place d'une corde sur mes hanches, pas de sensation désagréable dans le bras gauche non plus, juste un inconfort dans la cheville où la corde me scie un peu.
Il place ses cordes et termine de m'immobiliser pour devenir maître de mes balancements.
Encore une étrange façon de disposer ou plutôt de non-disposer de soi.
Souvenirs enfantins et réconfortants de balançoire.
Le temps se suspend et seul compte vraiment ce doux balancement qui me berce d'une façon ludique et joyeuse. Et c'est des réflexions à poursuivre pour moi même, c'est évident que l'essentiel de notre histoire se lie dans notre enfance mais je réfute certaines analyses trop simplistes sur mon intérêt pour les cordes, même si sur ce point précis, je reconnais que l'affect fort que j'ai pour l'objet "balançoire" n'est pas étranger au fait que j'apprécie les suspensions de JD.
Il touche régulièrement mes membres pour s'assurer de la circulation.
A un moment, son attitude change du tout au tout, alors qu'il était surtout question de s'amuser de la suspension, il entreprend de me libérer.
Ma cheville me fait toujours souffrir et quelque part, je pense que c'est à cause de cela qu'il me détache. En fait, c'est ma main gauche qui le contrarie, elle a pris une couleur déplaisante selon lui.
Sur le coup, je ne comprends pas bien mais finalement je ressens les picotements stridents et chauds de la circulation qui reprend possession de ma main et c'est tout l'art de l'encordeur que de savoir pour moi.


Et pour tenir ma résolution, je sors fumer une "clope" tranquillement pour me laisser revenir dans la réalité.

Les gens sont de plus en plus nombreux à partir, la fin de soirée est proche.
N. me propose un ultime jeux de cordes en me disant que nous avons une sorte de tradition : il commence toujours par moi, il finit toujours par moi.
Coup au coeur de bonheur quand je croyais avoir gagné tous les jeux de cordes que je pouvais espérer.
Il propose de m'attacher par terre et cherche un endroit adéquate.
C'est T. qui nous libérera un peu de place sur le studio-photo.

Au dernier jeux de cordes, A.S. m'avait aussi attachée par terre mais A.S. est tellement éloigné de N. que je ne doute pas une minute que l'expérience soit différente.
En préambule, il me dit que si il sent que je suis fatiguée des cordes, il arrêtera.
Et quelque part en moi, je m'indigne : être fatiguée des cordes ? c'est seulement possible ?
Il commence par lier mes bras sur l'arrière puis me laisse glisser contre lui pour me mettre à terre.
Sa façon d'amortir ma descente au sol a quelque chose de chevaleresque. Puis il me lie les jambes en passant une de ses cordes sur mon pied droit de la façon dont Fab avait placé les siennes, jeudi, à la manière d'un étrier. Vertige. .Et il faudra aussi que je m'attarde à cela.
Y'a-t-il des endroits précis où placer les cordes pour que l'autre décroche ou est-ce simplement lié à cet autre ? auquel, cas si je comprends assez bien en quoi la combinaison mains entravées + cordes sur les bras fonctionne aussi bien chez moi, je ne comprends pas bien en quoi cette référence à des étriers me touche...
No way, le fait d'être allongée est de toute façon un facteur "aggravant" puisque même les élémentaires "efforts" de maintien visant à se tenir simplement droit n'y sont plus nécessaires.
Je dérive dans l'immobilité sécurisante des cordes avec la satisfaction de ne plus m'appartenir.
Quand je ressens un frôlement sur ma nuque. Mon référentiel fort à Ténébreuse me renvoie à l'intimité du geste. J'aimerais être un chat et faire ma nuque "ronde" comme pour mieux recevoir la caresse.
L'univers se résume à ses doigts qui courent dans ma nuque et c'est comme si le monde devenait la douceur de ce geste.
Le temps se paralyse et je ne sais pas bien comment mais à un moment, je suis assise par terre dans la pénombre à côté de Nicolas, je remets mes chaussures.

Le reste n'est rien de plus que la fin d'une soirée et son rangement.
Avec seulement, ces mots de N. qui touchent un écho en moi quand il me dit : "écris-moi".