samedi 31 mai 2014

Vernissage des scultupres de Pier à la galerie Art et Culture de Saint-Marcel.

Après plusieurs contretemps, finalement, je pars seule de Clamecy pour la rejoindre à Saint-Marcel.
Inespéré mon co-voiturage peut me déposer à 9 km du rendez-vous, très sympa (et en avance sur son horaire), il cherchera même à me déposer directement à Saint-Marcel mais nous ne trouverons pas les indications.
Finalement, il me dépose sur la place de l’église avec une mignonne et guillerette fontaine.
Mila m’a texté entre temps pour me donner le numéro de Pier que j’appelle et qui me demande un petit quart d’heure pour arriver, le soleil est de la partie et l’attente est tranquille à écouter le bruissement léger de l’eau.
Pier arrive, m’emmène dans les dédales de rues inconnus, tourne dans une montée vers un clocher, se gare et m’amène prendre un pot. Il me propose un repas mais je ne sais pas à quelle heure nous allons faire la performance, je préfère m’abstenir et en rester à mon sandwich mangé sur l’autoroute avec le co-voitureur.
G., le propriétaire de la galerie vient nous rejoindre, nous échangeons tranquillement sur la vie rurale, sa conformité, les moyens de l’amener à s’ouvrir, les cordes, etc.
Je jette des coups d’oeil sur la seule voie d’accès que je connais (celle par laquelle je suis venue) en espérant voir une petite voiture blanche et c’est une voiture verte que je vois arriver et que je reconnais incrédule.
Fab est là, l’univers s’emplit de paillettes et l’air est plus léger.

Mila n’est pas arrivée mais les journalistes le sont, il faut avancer à la galerie. Pier m’indique où me changer, où déposer mes affaires et nous laisse dans le lieu.
A un moment, je sors fumer une cigarette, une petite voiture blanche arrive en haut de la rue, elle me fait des appels de phare : c’est Mila.
Les voitures se garent un peu comme elles peuvent dans les rues étroites et nous tombons dans les bras l’une de l’autre.
Vlada, Falco et Larissa sont là, c’est étrange de les voir en France.

Le temps s’échappe toujours, elle doit se changer rapidement, elle échange un peu avec les journalistes et voilà qu’il est question de la première partie de la prestation que je ne verrais qu’en photo.
Vlada et Mila attachent les sculptures de Pier en introduction aux cordes pour le public.

Je m’échauffe et ne vois rien, je ne suis même pas dans le même bâtiment. Fab vient me chercher, Mila négocie un fond sonore car elle a oublié le sien dans la précipitation, elle obtient une bande de musique classique. 
Comme toujours, elle teste elle-même le point de suspension sous mes yeux, un de ses rituels.
C’est bizarre c’est la première fois qu’elle va me ré-attacher sans avoir les yeux bandés depuis plusieurs fois, j’anticipe de ne plus sentir les légères palpations qui lui permettaient de sentir les cordes qu’elle ne voyait pas. Elle reprend comme une maîtrise supplémentaire dans les cordes maintenant que mes yeux ne sont plus ses yeux.
Les cordes dansent, je les reconnais, les plis des vêtements se placent mal sur mes clavicules et j’ai un peu peur que le frottement ne me gêne à la remontée. Mais en fait, en terminant le T-K, elle déplace les cordes et les plis s’effacent sur a clavicule. Je sens aussi combien le tissu des vêtements la gêne dans ses passages de cordes, cela ne glisse pas comme elle a l’habitude et j’en perçois un subtil agacement qui s’efface dès que la corde recommence à coulisser correctement. 
Les passages de cordes sont plus neutres, plus distants pour s’adapter aux circonstances du vernissage, pourtant je perçois quand même sa vibration comme un frôlement d’elle de sa concentration.

Je n’écoute pas la musique, elle n’est pas familière, elle ne peut pas m’aider. Je préfère me centrer sur elle et me focaliser sur les bruits des cordes.
Je souris quand je l’entends délier une corde avec sa bouche alors que dans mon esprit se formalise une image que je connais tellement que je la reconnais à son son. Une première jambe décolle, elle peaufine les passages de cordes et le temps s’espace plus qu’à Munich, la deuxième jambe la rejoint, je balance dans les cordes, laisser les cordes se placer, s’y abandonner, relâcher les muscles et accepter la morsure délicates des cordes.
Le temps, l’espace s’élastique, il ne reste qu’elle qui me manipule à son gré.
Le public se signale parfois de façon violente quand elle termine une pose et m’y fait tournoyer, les flashs des appareils passent au travers de mes paupières closes, le bruit des déclencheurs et des mode-rafale rebondissent sur ma bulle pour s’en éloigner aussitôt.

Elle enchaîne sur la suspension inversée et je ressens le souffle du public quand elle me place la tête en bas, avec toujours cette sensation de rebond sur ma bulle, comme si c’était présent sans vraiment l’être, comme en sourdine.

Je me laisse aller dans les cordes, elles prennent place sur le bassin et mordent l’os. Je m’imprègne en moi pour oublier le détail de la douleur. Elle fignole ses cordes et j’égraine les secondes dans mon esprit en attendant de sentir ses mains sur ma poitrine pour me remonter.

Mais au lieu de cela, elle prend une de mes jambes et commence un futomomo dessus.
J’arrive à penser un “mais c’est pas ça ?!” avant de m’absorber en moi pour oublier un temps qui me semble être ralenti. Sans bien comprendre comment à un moment, elle me remonte, les cordes se remettent à d’autres place, plissent la peau et je me concentre sur le soulagement du bassin plutôt que sur la gêne des nouveaux points de tension.
Elle termine ses cordes, me fait encore tourner et commence à ramener mes pieds au sol.
Elle y dipose le dernier avec tout la précaution du monde et je me relève en m’appuyant un peu sur la corde du T-K. J’aime bien m’appuyer dessus, comme une façon de maintenir le contact avec ma bulle quand elle s’évapore déjà.
Elle me fait agenouiller, achève de me détacher en faisant danser les cordes, ramène mes bras sur le devant et me sert pudiquement dans les siens.

Débarrasser l’espace pour Vlada et Falco et se trouver happée par l’élan d’un public qui veut partager ses émotions.
Les gens me parlent de douleur, je me défends, j’explique que ce n’est pas le but, je ne comprends pas qu’on me parle de douleur quand dans le même temps, ils me parlent de ma sérénité.
Une dame arrive à m’isoler et me regarde sérieusement : “Depuis combien de temps faites-vous du yoga ?” Je la regarde ébahie, elle devine que je ne comprends pas de quoi elle parle. Elle insiste “Vous dégagez un tel stoïcisme.” J’explique sommairement, je parle de voyage en soi.
Un autre monsieur vient me voir et spontanément, il me parle d’hypnose. Je lui souris et m’accroche un peu à lui, parce qu’il use d’un référentiel que je maîtrise.
C’est la première fois que je dois “expliquer” les cordes après les cordes. C’est intéressant de voir comment les gens ont perçus les choses, c’est fascinant de voir comme ils ont envie de partager/échanger leurs impressions.
Pour le coup, je comprends le sens de spectacle vivant.

Vient le tour de Vlada et Falco, je les ai entrevu à Moscou, raté à Munich, c’est ma première véritable occasion d’apprécier leur performance dans les circonstances privilégiées d’un petit lieu, comme une sorte de session privée.
C’est étonnant de voir Falco avec un pagne, lui qui secoue son petit cul nu partout où il peut.
Vlada a son joli costume militaire, j’aime la moue entrouverte que lui donne sa concentration, c’est émouvant. Je suis admirative de l’endurance de Falco dans les cordes, il me fait penser à cette petite phrase de Mosafir à propos de sa propre modèle “It’s a plastic girl.”
Phrase que l’on pourrait transposer en la masculinisant pour parler de Falco.
J’adore toutes les petites marques d’attention que Vlada envoye vers Falco pendant leur prestation, un petit coup d’oeil, un murmure, une caresse, un geste sûr et rapide pour déplacer une corde.
Il y a une belle harmonie entre eux et ils nous la transmettent.
Et c’est encore plus flagrant quand elle le détache et qu’on voit toute la fierté qui l’habite en le serrant contre elle.
Là, encore, le public a grand envie à échanger et je fais un peu le traducteur pour Falco à qui ils ont envie de confier leur appréciation de sa plastique comme de son endurance.
Scène suréaliste d’un Falco en pagne qui montre des nus de lui dans les villes les plus diverses sous les “oooh” appréciateurs de ces dames.

La soirée se poursuit avec un rapide repas.
Nous trouvons un peu de temps pour nous rapprocher avec Mila, elle me parle de photos dans une tour à 30m de hauteur, je pense à mon vertige et lui sourit “oui, si tu veux.”
Il est temps de partir j’essaye de m’exprimer avec les russes, c’est tellement difficile de dire l’émotion. Vlada me sourit, me parle de Moscou.
C’est loin, tellement loin, devant autant que derrière quelque part.
La nuit se referme sur nous, la route s’enchaîne…
Une expérience en saut de puce, juste le temps de constater que le Lien ne s’efface pas par l’absence.

Crédits : Cordes par Ludmila Metresa/Ropes - Photo par Fab Crobard