MP3 en mode aléatoire. est-ce que j'écoute du rap ? oui, justement
c'est "entre deux" de sniper.
En fait, j'écoute de tout sauf de la
country.
La rage c'est beau, et le rap est la dernière musique enragée à mon
sens. Des années plutôt ils auraient été punk, aujourd'hui, ils sont
rappeurs mais ils viennent du même monde, des même quartiers, des
mêmes caves, des mêmes histoires de vie où la prison et la "drogue"
sont du quotidien.
Une sorte de monde de paria où s'entassent les
exclus d'un système où je n'ai jamais su trouver ma place.
Mais je divague sur la musique sans en venir là où je devais.
Autocensure et suppression de plusieurs lignes pour recentrage.
Je m'arrache rarement du temps pour moi-même, ça fait parti de mes
choix de vie autant que c'est une conséquence de ce que je suis.
Mais quand je m'en arrache c'est parce que je ressens l'écho d'un
esprit. Se frotter à une belle âme c'est s'enrichir aussi.
Si tu dis être coutumier de la solitude au point d'y avoir développer
une sorte de tolérance, c'est quelque chose que je n'ai jamais appris
à supporter. Le poids de l'indicible solitude à laquelle est
désespérément prédestinée l'humanité est quelque chose que j'ai beau
pratiquer depuis tant d'années mais je n'arrive pas à m'y faire, c'est
toujours un constat qui m'oppresse la gorge, me tord le ventre et me
donne envie de me lacérer jusqu'à ce que mort s'en suive.
Et parfois, il y a une rencontre, quelque chose qui passe d'emblée
avec l'autre, une sorte d'entente tacite où les mots sont inutiles
tant la sensation de connaissance de l'autre est évidente. Cela ne
m'arrive pas souvent ces rencontres et ma vie fait qu'elles sont
souvent appelée à ne pas se reproduire, ça n'ôte rien au respect qui
s'instaure de fait entre nous mais ça ôte le plaisir de jouir d'une
sorte de "communauté d'âme", une sorte de petit instant magique où ce
sentiment de solitude s'estompe parce que justement, pour une fois,
pour une minute, pour une seconde, on ne l'est plus par la simple
présence réconfortante de l'autre, par son regard, par le ton de sa
voix...
Et j'ai fait une autre de ces rencontres et c'est pour elle que je
m'arrache du temps en ce premier janvier 2011.
Une vie chaotique comme
la mienne, une douleur dévorante qui me renvoie ma propre image en
miroir et la sensation que quelque part, je vole cette rencontre à la
vie quand il ne sait pas bien où son chemin le mènera.
Rendez-vous Opéra Garnier, flashback, des millions d'années que je ne
suis plus venue ici, j'avais 17 ans et un look dans le style dandy à
la Georges Sand parce que ma sœur m'appelait Sand depuis que mon
premier livre avait été édité.
J'avais de longs cheveux que je
m'apprêtais à couper pour la première fois depuis que j'étais rentrée
en france parce qu'à l'agence, ils conseillaient de me dégrader les
cheveux pour affiner mon visage. J'avais dix millions de certitudes
dont la seule qui me reste, aujourd'hui, est qu'on traîne nos morts
accrochés à nos pieds toute notre vie.
Je cale le sac à dos sur une barrière et je mets mes gants.
Un regard
appelle le mien, N. est là.
On va où ? pas d'avis.
Paris est désert, errance dans la capitale pour
se poser, des phrases qui se lâchent au fil des pas, une voûte où
j'entrevois une sorte de parc, je passe la tête dans la suivante, un
beau lieu tout calme, je propose de s'y poser deux minutes, le temps
que je fume mon poison.
Quelques phrases, c'est difficile d'aller vers l'autre, difficile
parce que dangereux sans doute, mais c'est toujours des instants
magiques qui laissent plus l'idée d'un sentiment général, une sorte de
douceur, un tâtonnement de l'esprit.
Et puis la marche reprend avec un sac de moins, finalement entre
parole et pas, on arrive dans un petit bar tout tranquillement niché
au chaud, je ne sais pas bien où.
Le lieu et l'intimité deviennent plus propices aux confidences, on
décrit des grandes lignes, on pose des décors, toujours encore un peu
en surface pour tenir dans un condensé mais avec déjà un pied dans le
personnel.
Oser quelques questions timides pour faire des jonctions entre
différents éléments, donner un peu de soi en réponse, éviter
discrètement les sujets à tiroirs sur lesquels un condensé ne
suffirait pas.
Le temps défile, un chocolat chaud, deux et c'est fini.
La vie m'a rattrapée.
N. propose de me raccompagner, on essaye de tricher comme on peut
pour voler un peu plus de temps... Et finalement, c'est la foule du
métro qui terminera de casser la bulle.
Gare de l'est, Fab monte pile dans notre wagon... hasard, karma,
destin, évidence pour moi.
Fin de trajet dans l'éternel foule de 18h, trajet de filou dans les
petites rues pour arriver à la salle. J'avais essayé d'en faire un
tableau objectif à N., mais personne n'arrive jamais à vraiment
imager la saleté repoussante de cette salle.
Flottement, finalement B. et M. sortent des loges alors que
Y. arrive en cherchant S.
Si Y. est "déjà" là, c'est un
signe évident de retard de notre part. Faut monter/installer/câbler.
N. nous quitte. Sur un coup de tête, je lui ai proposé de venir à
la soirée, il a repéré les points d'attache dans la salle et expliqué
ses intentions à Y.
Je suis un petit nuage et je trouve que la
soirée ne commence pas assez vite.
Pendant le repas, Y. revient quand même sur cette histoire de
shibari en expliquant qu'il avait déjà eu des plaintes suite à un
soumis en laisse dans la soirée.
Débauche d'arguments de ma part
relayée par Fab en insistant sur le côté "non explicitement sexuel" de
la chose. P. s'en mêle en disant qu'il faudra vérifier toutes
les cartes d'identité à l'entrée... Puis finalement, il dit que c'est
bête qu'on l'aurait mis sur le fly : ouf, gagné !
Et quand je vois l'image du bondage que peuvent avoir des personnes
qui prétendent fréquenter une certaine alternative, je me dis que je
devrais quand même essayer de comprendre comment le lambda perçoit la
chose.
Le début de la soirée est terriblement laborieux, froid et pénible. Le
temps s'éternise en minute, plus longue les unes que les autres.
Finalement, il est enfin/déjà une heure de matin. N. avait
prévenu qu'il faisait sa cendrillon à une heure du matin. C'est
mort...
Heureusement, M. est passé et il fait le clown comme à son habitude
en racontant des choses affreusement hilarantes, la soirée ne sera pas
complètement perdue.
Et à un moment, dans un flash éblouissant de B., N. se
matérialise devant moi.
Coup au cœur et stupéfaction.
J'aime bien ce
côté "magique" qu'il a d'apparaître dans des moments improbables et
j'imagine que lui s'amuse de cette surprise incrédule qui s'empare
chaque fois de moi.
La musique beugle à un niveau sonore absolument anti-convivial,
difficile d'échanger dans ces circonstances.
Malgré tout, je sais
qu'il sera question de cordes et je n'ai qu'à ronger mon frein en
attendant. Tellement focalisée sur ma propre envie, j'occulte la
réalité de la soirée.
Et celle-ci me percute de plein fouet quand il devient vraiment
question de cordes.
La foule, les flash, le son...
N. me dit de venir le rejoindre d'ici une minute... dire ça à une
impatiente comme moi, compter le temps... Je jette la minute à
l'infini et m'avance pour le rejoindre.
La foule, les flash, le son.
Quelques secondes, je me dis que c'est typiquement un plan d'arraché.
Puis N. "entre en contact" avec moi, la bulle commence à se
former, comme un doux amortissement d'abord. J'ai la sensation que
plus nous aurons l'occasion de nous découvrir, plus cette sensation
gagnera en force et en rapidité de mise en place.
Et il me prend les mains pour les placer en face en face devant moi.
Déroutant. Il n'a jamais fait ce geste-là avec moi.
Instantanément,
j'ai un flash de l'après-midi quand je lui expliquais que je
différenciais les cordes des autres accessoires de bondage et qu'il
avait ajouté "menotte" à mon listing.
Est-ce qu'un bondage peut
s'interpréter comme un rêve ? pourquoi pas dans la mesure, où il
laisse son "instinct" le guider pour encorder sans chercher à faire
des figures imposés.
La situation m’interpelle assez pour que j'en garde les yeux ouverts,
je le vois faire ses passages de cordes, cela aussi c'est imprégné
d'une douceur ronde.
Logiquement, le fait de regarder le jeux de
cordes m'aide à focaliser mon esprit dessus et la contrainte qui prend
progressivement possession de moi me ferme les yeux et place le
monde en sourdine.
Je dérive doucement au rythme des passages de cordes mobilisant mon
esprit sur le moindre ressenti.
Ses mouvements pour me manipuler sont
plus impérieux que les autres fois, et c'est forcément quelque chose
qui résonne en écho en moi, comme cette petite tape sur la cuisse pour
me faire comprendre de l'écarter plus.
Et cela donne nécessairement un
souvenir plus charnel à l'expérience de mon point de vue.
Devant cette sorte de rappel à l'ordre, j'essaye de rester encore plus
attentive au ressenti pour me plier aux exigences et comme souvent, la
focalisation sur un objet précis aide à mieux décrocher.
Et c'est un autre ressenti qui me raccroche à la réalité, un millier
de frôlements d'ailes de papillons jouent de moi, de mes sensations,
de mon orientation. J'ai la sensation d'onduler avec mon corps pour
suivre les caresses alors que je sais pertinemment que je suis
pratiquement incapable de bouger.
Étonnant de constater combien dans
l'immobilité un frémissement de muscles puisse sembler prendre une
telle ampleur, par relativité sans doute.
De nouveau, la focalisation sur un objet précis joue son rôle et je
perds la notion du temps et du lieu.
Puis à un moment, les liens se font moins présents sans vraiment
savoir comment ni pourquoi.
Le monde me revient dans toute la laideur
des caves, que je préfère continuer de fermer les yeux pour mieux
continuer de profiter.
Une voix fuse en référence au SM sortie tout droit d'un individu trop
enivré et trop connu de moi pour qu'une parole aimable ne m'échappe.
N. termine de me détacher, la bulle s'efface progressivement et
la réalité prend corps.
Et je n'en apprécie que plus fort la sorte de magie qu'il y a entre
lui et moi pour avoir réussi à faire abstraction de tout ce bruit,
cette foule, ces flash.
La soirée se poursuit, des paroles se volent encore, comme un petit
chemin vers l'autre qui se construit.
Et N. s'en va. Je le raccompagne.
J'aimerais lui dire que
j'aimerais le revoir mais je ne dis rien, sa vie est assez compliquée
comme ça et quelque part, je pense qu'il le sait.
Et si il est un enseignement à tirer de cette expérience, c'est cette
évidence que je crois que N. avait déjà essayé de me faire
passer.
A savoir que nos jeux de cordes auraient maintenant besoin d'une
intimité qu'un lieu public même adapté ne peut plus leur offrir.